L'ÉVOLUTION DE LA CABANE CAMARGUAISE AU XXe SIÈCLE
D'APRÈS DES CARTES POSTALES ET PHOTOS ANCIENNES

Christian Lassure

 

IX - VAN GOGH ET LES CHAUMIÈRES SAINTINES

 

1 - Les cabanes et maisonnettes des Saintes-Maries-de-la-Mer vues par Vincent van Gogh

À côté des cartes postales et photos anciennes, une des sources de connaissances sur les habitations permanentes des petites gens en Camargue au tournant du XXe siècle, est constituée par les dessins et peintures que Vincent van Gogh rapporta de son séjour aux Saintes-Maries-de-la-Mer à l'été 1988 (1). À côté des barques des pêcheurs, il peignit en effet des cabanes de roseau mais aussi et surtout des maisonnettes également couvertes de roseau, souvent confondues avec les premières par les spécialistes du peintre.

(1) Les Saintes-Maries-de-la-Mer comptaient environ 800 habitants en 1888. Près de deux cents maisons entouraient l'église romane fortifiée. Isolé entre le Rhône et la mer, éloigné des villes de l’intérieur, le village était pauvre. Peuplé d'une majorité de pêcheurs qui partagaient leurs temps, l'hiver dans les marais et l'été à la pêche aux maquereaux, il comptait aussi de nombreux gardians et des petits paysans qui cultivaient de la vigne, un peu de seigle et du riz (informations glanées sur le site http://www.saintesmaries.com/vangogh/saintessite/village88.html).

 

Document Nos 1, 2 et 3

Intitulée « Rue aux Saintes-Maries » (2), cette peinture à l'huile est l'un des deux tableaux que van Gogh peignit de bâtiments couverts de chaume. On y voit quatre maisonnettes disposées, pignon contre pignon, du même côté d'une allée, avec en plus, à l'extrême gauche, un bâtiment dont le gouttereau est aligné lui aussi mais dont la toiture est arrondie à l'instar d'une croupe de sagne.

Rue aux Saintes-Maries - Huile toile - Début juin 1888 - Collection privée.

Des trois dessins à la plume faits en préparation à la peinture, deux montrent la même toiture arrondie  mais dans le troisième dessin l'arrondi se mue en versant rectiligne. Il est donc vraisemblable que l'on a affaire non pas à une cabane mais à une cinquième maisonnette.

Rue aux Saintes-Maries - Dessin à la plume - Mi juillet 1888 - Musée métropolitain d'art à New York.

 

Rue aux Saintes-Maries  - Dessin à la plume - Mi juillet 1888.
Dans ce dessin, la figuration du versant de la chaumière de gauche est nettement plus réaliste...

Les maisonnettes sont habitées et de la fumée sort des cheminées. La rue où elles se trouvaient, l'actuelle rue Frédéric Mistral, aurait été détruite par un incendie, à en juger d'après une photo publiée dans l'ouvrage Le livre d'or de la Camargue (3).

(2) En anglais « Street in Saintes-Maries ».

(3) Renseignement tiré du livre de Jean-Luc Massot, Maisons rurales et vie paysanne en Provence, Serg, 1975, p. 82, note 20.

 

Documents Nos 4 et 5

Appelé « Cabanes blanches aux Saintes-Maries » (4), ce tableau est celui évoqué  par van Gogh dans une lettre envoyée à sa sœur, Wilhelmina van Gogh, en septembre 1888 : « les cabanes blanches sous le ciel bleu dans de la verdure que j'ai faites à Saintes-Maries au bord de la Méditerranée ».

Trois cabanes blanches aux Saintes-Maries - Huile sur toile - Début juin 1888 - Kunsthaus Zurich à Zurich.

À l'observation, ce tableau ne révèle que deux cabanes (à droite et au milieu), le troisième bâtiment étant une maisonnette car dépourvu d'abside du côté d'où souffle le vent

La cabane de droite est représentée entière : pignon enduit avec porte d'entrée à gauche et souche de cheminée à droite, chevron axial saillant en croupe, saillie des voliges au niveau des rampants.

De la deuxième cabane, à gauche de la première, on ne voit que la croupe et une partie d'un côté. Détail peu commun, la chape d'enduit de plâtre recouvre toute la couverture sauf la couche de roseau en rive. Le mur porteur est lui aussi enduit. Une croix trône en haut de la croupe.

Le dernier bâtiment, à l'extrême gauche, est une maisonnette à deux pignons maçonnés et toit de chaume : là où on s'attendrait à une abside, on trouve un pignon maçonné blanc (qu'il s'agit bien d'un pignon, est corroboré par le dessin préparatoire à la plume fait par le peintre : on y voit un rampant nettement surhaussé par rapport à la couverture de sagne). Dans la paroi latérale, et sous une échancrure du versant de roseau, s'ouvre une petite fenêtre (dans le dessin, celle-ci n'est  pas aussi près du pignon).

Trois maisonnettes aux Saintes-Maries - Dessin à la plume - 4 juin 1888 - Musée van Gogh à Amsterdam.

 

(4) En anglais, « Three white cottages in Saintes-Maries ». Un autre titre en français, « Mas blancs aux Saintes-Maries », est manifestement impropre, donnant à des bâtiments en bas de l'échelle sociale le nom des édifices en haut de cette échelle.

 

 

Document No 6

Sur ce croquis datant du séjour de van Gogh aux Saintes, on distingue, vers l'arrière-plan, la forme caractéristique d'une cabane de sagne à abside et croupe. La bâtisse est apparemment isolée en bordure d'une étendue qui semble marécageuse. La saillie du chevron axial de croupe pointe obliquement vers le ciel, une fenêtre est percée, semble-t-il, dans le gouttereau près du pignon. Ce dessin n'a donné lieu à aucun tableau, l'on doit donc se contenter de cette vue imprécise d'une cabane saintine.

Paysage à la cabane en Camargue - Dessin à la plume - 31 mai - 4 juin 1888 - Musée van Gogh à Amsterdam.

 

 

Document No 7

Une autre vue des Saintes-Maries dessinée par le maître est celle du cimetière municipal en bord de mer avec, sur le côté gauche, un groupe de plusieurs  bâtisses dont le type est malaisé à identifier : maisonnettes, cabanes ? Là encore, ce dessin d'étude n'a pas été suivi d'une peinture à l'huile. Nous ne nous y attarderons pas.

Vue des Saintes-Maries et du cimetière - Dessin à la plume - 31 mai - 4 juin 1888 - Collection privée en Suisse.

 

 

Document No 8

Le titre anglais de l'œuvre (« Row of cottages ») est une indication du type des bâtiments croqués par van Gogh sur cet énième dessin : des maisonnettes basses à couverture de chaume et à chape faîtière de plâtre entre deux pignons. Il s'agirait d'un alignement de maisons qui était face à la mer, sur ce qui est aujourd'hui l'avenue van Gogh (la bien nommée). La deuxième chaumière à partir de la droite retient l'attention : plus longue que les autres, elle résulte vraisemblablement d'une extension en pignon d'une première maisonnette, d'où la présence de la souche de cheminée aux deux tiers de la longueur du faîtage. L'artiste a bien rendu l'échancrure ménagée dans la rive de la couverture au droit des deux ouvertures visibles dans le gouttereau. Une bâtisse, plus petite et moins haute que les autres, clôt la rangée à son bout éloigné.

Rangée de maisonnettes aux Saintes-Maries -  Dessin à la plume - 31 mai - 4 juin 1888 - Musée van Gogh à Amsterdam.

 

 

Documents Nos 9 et 10

Cette étude représente le village vu depuis le sud en 1888. Église et maisons en dur à toit de tuiles creuses se dressent derrière une rangée de maisonnettes couvertes de chaume, les mêmes que celles du croquis précédent. Ces maisonnettes, qui sont non pas des cabanes de gardians mais des chaumières basses habitées par le menu peuple de l'époque, étaient construites sur l'emplacement de l'ancien rempart, dont la démolition avait été votée par la municipalité en 1857. Elles n'étaient donc pas bien vieilles lorsque van Gogh jeta son dévolu sur elles.

Pour croquer la scène, l'artiste s'était installé sur une dune de 5 m de haut (ou montille) qui n'existe plus aujourd'hui du fait de l'avancée de la mer. Il avait sous les yeux une vigne flanquée sur la droite par le bâtiment des Douanes, aujourd'hui disparu tout comme la vigne, remplacée par un mini-golf et l'Office du tourisme (5).

(5) Renseignements puisés sur le site http://membres.lycos.fr/saintesmaries/saintesmaries/Editer/Histoire%20ancienne%20des%20Saintes/Remparts/ remparts.htm.

Vue des Saintes-Maries avec son église et ses remparts - Dessin à la plume - Juin 2008 - Collection « Am Römerholz » d'Oskar Reinhart à Winterthur (Suisse) .

En reportant son dessin sur la toile, van Gogh a recadré la vue en excluant de l'alignement deux chaumières à gauche et en coupant une partie du pignon du bâtiment des Douanes.

 

Le village avec son église fortifiée - Peinture à l'huile - juin 2008 - Musée Kröller-Müller d'Otterlo (Pays-Bas).

 

 

Document No 11

Comme indiqué plus haut, le village des Saintes-Maries était resté engoncé dans ses remparts jusqu'au milieu du XIXe siècle. Sous l'Ancien Régime, un peintre aurait vu un spectacle complètement différent de celui peint par van Gogh. Une rare carte postale ancienne reproduit un dessin du village tel qu'il apparaît sur un parchemin de 1607 conservé aux Archives municipales d'Arles (DD 98). À l'extérieur des fortifications et des douves, il n'y a aucun habitat.

Carte postale ancienne représentant la ville fortifiée des Saintes Maries.
Légende, le long du bord droit de la carte :  (D'après une gravure de 1607).
Éditeur : Éditions du Presbytère.

En réalité, il s'agit non pas d'une gravure mais d'un parchemin, ainsi que l'indique Fernand Benoit dans La Camargue, Paris, Henri Laurens éditeur, 1961, Seconde édition, revue, coll. « Les visites d'art, Memoranda ».

 

 

Document No 12

Si Les Saintes-Maries-de-la-Mer avaient conservé leurs remparts, voici ce à quoi le village aurait ressemblé vers 1900 : à Aigues-Mortes derrière ses tours et courtines. L'éditeur (sinon l'imprimeur) de cette rare et insolite carte postale ne croyait pas si bien dire en se trompant de légende !

Carte postale du début du XXe siècle.
Légende : LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER (B.-du-Rh.) (bien évidemment, il s'agit d'Aigues-Mortes...)
Vue Générale prise par Avion.
Éditeur : Information non disponible.

 

 

2 - Les cabanes et maisonnettes 17 ans après le passage de van Gogh d'après les cartes postales de l'Âge d'or

Documents Nos 13a, 13b et 13c

Dix-sept ans après le passage de van Gogh, la rangée de maisons immortalisée par son roseau et son pinceau, est encore reconnaissable malgré quelques pertes ici et là.

Carte postale des années 1900 ( les « mille caresses » d'Elisa ont circulé les 24 et 25 avril 1905 selon les cachets de la poste).
Légende : LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER. - Le Village et l'Eglise.
Éditeur : Phot. Blanchin, Tarascon.

La maisonnette aplatie qui ferme la marche à gauche, est encore là. Elle présente une caractéristique étonnante : une entrée en gouttereau dont le haut échancre considérablement la toiture et dont l'embrasure s'enfonce profondément dans le bâtiment..

Agrandissement de détail.

La maisonnette immédiatement à sa droite a vu ses murs gouttereaux surhaussés et son chaume remplacé par de la tuile creuse.Une sorte de loge en roseau lui est accolée en pignon

La 3e maisonnette à partir de la gauche semble avoir perdu sa partie droite, remplacée par un grand bâtiment à étage et à couverture de tuiles creuses, lequel comprend une partie habitation (à gauche) et une partie exploitation (à droite).

On peut se demander si la 4e maisonnette n'a pas, elle aussi, été amputée d'une partie étant donné la disparité entre sa longueur sur la photo et sa longueur sur le croquis et  le tableau.

La 5e maisonnette est toujours là mais son pignon de droite est caché par le bâtiment des Douanes.

On est frappé par la blancheur des 3e et 5e maisonnettes, toiture de roseau comprise : il faut envisager un badigeonnage intégral (pour écarter les risques d'incendie ?).

Agrandissement de détail.

 

 

Document No 14

Sur cette autre vue des années 1900, l'alignement de chaumières se trouve déjà amputé de plusieurs d'entre elles, remplacées par des maisons en dur couvertes de tuiles creuses. La minuscule maisonnette à un bout de la rangée est encore en place ainsi qu'une autre à droite. La grande bâtisse à étage, sur la droite, a sa façade qui ressemble étrangement à celles du mas de l'Amarée et de sa copie, le premier mas du Simbèu, avec quelques travées de fenêtres en moins (voir sections II et III de la présente série).

L'angle de mur à l'extrême gauche est un reste des remparts qui enserraient le village médiéval.

Carte postale des années 1900.
Légende : Les Stes-MARIES-de-la-MER (Camargue) – Vue générale
O Grandi Santo Segnouresso (O grandes saintes souveraines)
De la planuro d Amaresso (De la plaine d'amertume)
F. MISTRAL (Mireio)
Éditeur : Edit. Charles Arpin - Articles Souvenirs.

 

 

Document No 15

Sur cette autre carte postale (6), on a une meilleure vue de la chaumière de droite de la carte précédente : il s'agit d'une maisonnette à pièce unique, à gouttereau-façade sur rue. Les similitudes avec la cabane camarguaise classique sont la toiture de sagne, la chape de plâtre recouvrant le faîtage, le blanchiment des murs, la souche de cheminée en pignon à droite de l'axe du faîtage; les différences sont l'absence d'abside et de croupe et la présence de l'entrée en gouttereau.

Carte postale des années 1900.
Légende : LES SAINTES MARIES DE LA MER (Bouches-du-Rhône) L'église.
Éditeur : illisible.

(6) Nous n'en possédons, hélas, qu'une mauvaise reproduction qui n'autorise guère de constatations.

 

Documents Nos 16a et 16b

Prise depuis le sud-est, cette vue générale du village des Saintes dans la première décennie du XXe siècle, a pour intérêt de montrer une maisonnette et une cabane se dressant à quelques mètres l'une de l'autre en dehors du périmètre bâti de l'époque. Ce périmètre est encore marqué par les vestiges de l'ancien rempart médiéval dont un long tronçon barre la moitié gauche de la carte.

La cabane est immédiatement identifiable à son pignon-façade blanc, sa bâtière de sagne faisant saillie aux rampants, sa corne juchée sur la pointe du chevron axial de croupe, son entrée dans la partie gauche du pignon, sa souche de cheminée au-dessus de la partie droite de celui-ci.

La maisonnette basse, à pièce unique, est tout aussi reconnaissable malgré la disparition de son chaume de couverture. Entre les deux pignons en maçonnerie de pierre, on devine la charpente élémentaire formée d'une panne faîtière et d'une panne intermédiaire latérale et d'une douzaine de chevrons. Il semble y avoir une panne sablière sur l'arase du mur mais le détail est trop ténu pour que cela soit une certitude. Un fenestron perce le pignon avant, à gauche de l'axe vertical de celui-ci.

Les deux bâtiments ont leurs gouttereaux parallèles à la rue qui borde l' « Hôtel de la plage ». On note que la pente des versants de la cabane est plus accentuée que celle des versants de la maison.

Carte postale des années 1900.
Légende : 54. – Vue générale des Saintes-Maries.
Éditeur : Edition Marcheteau. – Arles.

Sur cet agrandissement de détail, on ne peut manquer de remarquer caractère relativement élaboré du pignon visible : si la maçonnerie est du tout-venant, les angles sont en pierres taillées disposées alternativement en boutisse puis en parpaigne tandis que les rampants sont en  blocs taillés disposés en chevronnière.

Agrandissement de détail.

 

 

Document No 16 b

On aperçoit notre ancienne chaumière sur une carte apparemment plus récente que la précédente puisque le massif occcidental de l'église paroissiale a été gratifié d'un crénelage et son mur-clocher rehaussé : il s'agit sans doute des années 1920. La charpente de la chaumière a perdu plusieurs chevrons et le parement de son pignon présente un trou consécutif à la tombée de plusieurs pierres. Ainsi va toute ruine.

Carte postale des années 1900.
Légende : Saintes-Maries de la Mer - Vue générale.
Éditeur : Édition Armieux..

 

 

Document No 17

Cette autre vue générale de la « cité de Mireille » prise depuis grosso modo le sud sud-est et contemporaine de la 16a, laisse voir, aux abords de l'agglomération, les deux mêmes bâtisses – la maisonnette et la cabane – à l'orée d'un vaste terrain vague où stationnent quelques roulottes de gitans. Cependant, elles sont trop loin de l'endroit où le photographe a planté son appareil pour fournir quelque indication supplémentaire.

Carte postale des années 1900.
Légende : Les Saintes Maries - 816 - Vue Générale.
Éditeur : Phototypie F. Lacour. – Marseille.

 

 

Document Nos 18a, 18b et 18c

Le hasard a voulu qu'il existe une « vue générale », antérieure d'une dizaine d'années, de ce même côté sud sud-est de la bourgade, et que sur cette vue, la maisonnette ne soit pas encore découverte.

Carte postale antérieure à 1900 (dite « précurseur » ou nuagique).
Légende : 372 - SAINTES-MARIES DE LA MER.
Vue générale.
Éditeur : Editions J. Brun & Cie, Carpentras.

Sur les agrandissements successifs, on observe la présence de chaume, assez fatigué, sur la toiture ainsi que d'une chape de plâtre, plutôt grisâtre, sur le faîtage. Le haut d'une souche de cheminée se devine en haut du rampant gauche du pignon non visible, autrement dit le pignon-façade.

Agrandissement.

Autres observations : la cabane à l'arrière et à droite de la maisonnette est toute blanche comme si elle avait reçu une couche de plâtre des pieds à la tête (à moins qu'il ne s'agisse d'une intervention de l'imprimeur de la carte pour faire ressortir l'édifice) et la porte est occultée par une toile, qui pend mais ne flotte pas contrairement à la jolie phrase de Léon Daudet : « Un vent léger [au village des Saintes] fait flotter les toiles des portes et les moustiquaires des fenêtres » (7).

(7) Léon Daudet, A travers la Provence, dans Léon Daudet et Charles Maurras, Notre Provence, Flammarion, 1933.

Agrandissement de détail.

 

 

Document No 19

Cette rare photo, due au groupe des excursionnistes marseillais qui sillonnèrent la Provence entre le début du XXe siècle et les années 1950, a pour titre « les cabanes du village des Saintes-Maries-de-la-Mer » (8). Ici encore, la réalité architecturale et sociale est travestie : il s'agit de véritables maisons, de chaumières en dur, et non de cabanes. Dans la hiérarchie sociale de l'habitat villageois camarguais on est ici un cran au-dessus de la cabane.

La question que l'on en droit de se demander est de savoir si ces bâtisses sont les mêmes que celles de l'alignement du côté sud du village, peintes par Vincent van Gogh, ou bien celles d'un autre côté. Faute d'indications précises laissées par les « excurs » et malgré les ressemblances frappantes, la prudence est de mise. Constatons simplement que la maisonnette tout en longueur du milieu est une maisonnette double, en voie d'abandon : la partie postérieure n'a plus ni poutre ni chevrons tandis que la partie antérieure n'a plus de chaume mais conserve ses poutres et ses chevrons (il semblerait que quelqu'un soit en train de travailler à la couverture).

(8) Source : Marie-Françoise Attard-Maraninchi, Les photographies des Excursionnistes marseillais, témoignage d’une « conquête » de la Provence (1897-1914), sur le site www.imageson.org/document715.html.

« Les cabanes du village des Saintes-Maries-de-la-Mer. »
Auteur : Duce, s.d. [vers 1900] , © Archives de Marseille : 33 Fi 1074.
Plaque de verre stéréoscopique positive 45 x 107 mm.

 

 

Documents No 20a, 20b, 20c, 20d, 20e et 20f

Après le sud-est et le sud, voici le sud-ouest : juste dans l'axe de l'église et à la limite de l'agglomération, on aperçoit une chaumière avec son toit de roseau entre deux pignons blancs. On aperçoit le toit d'une autre sur la gauche, entre le plus à gauche de deux pylones (9) et le pignon d'une grange-fenil. De même, à l'extrême droite, on devine la chaumière basse en bout du côté sud (voir, supra, document No 13b).

Manifestement, le photographe a fait son cliché juste après le passage d'une voiture ou d'une monture, d'où le voile de poussière soulevé à droite.

(9) Il s'agit des antennes d'un poste de télégraphie.

Carte postale des années 1900.
Légende : 12  LES-SAINTES-MARIE-DE-LA-MER (B.-du-R.). – Vue Générale (Côté Sud-Ouest).
Éditeur : ND.

 

Agrandissement (partie gauche).

 

Agrandissement (partie droite).

     

 

Maisonnette à l'extrême gauche.

 

Maisonnette au centre.

 

Maisonnette au bout du côté sud.

 

 

3 - Les cabanes de Salin-de-Giraud

Ainsi qu'on l'a vu, les dessins et tableaux faits par Van Gogh lors de son séjour chez les Saintois en 1888, attestent la présence de quelques cabanes mais surtout de maisons basses, les unes et les autres à couverture de sagne, à la périphérie du village de l'époque. Cette présence se prolonge jusqu'aux années 1900, mais non sans une attrition importante, comme le montrent les cartes postales anciennes.

Une autre agglomération camarguaise où des cartes postales (à défaut de l'œuvre d'un peintre célèbre) entretiennent le souvenir de cabanes péri-urbaines, est celle de Salin-de-Giraud, sur la commune d'Arles. En 1914, il y avait 22 cabanes à toiture de sagne, habitées par des ouvriers sauniers (ou saliniers) (10). Trois de ces chaumières sont visibles sur la carte postale qui suit.

(10) Information rapportée par Jean-Luc Massot, op. cit., p. 83.

 

Document No 21

Ces cabanes s'échelonnent le long d'un chemin, leur pignon-façade tourné vers celui-ci. Avec leurs murs en dur, leur toiture pentue alignant une douzaine de rangées de javelles de sagne, leur chape de plâtre habillant le faîtage, leur croix absidiale, elles ressortissent du type architectural classique.

Sur les deux premières, la couverture de sagne s'arrête au ras du pignon et une couche de plâtre a été soigneusement appliquée sur les rampants. Les occupants ont tiré parti de la seule possibilité d'extension que présente la cabane camarguaise : dans le prolongement du pignon, d'où ces appentis de bric et de broc dressés devant les deux cabanes les plus proches.

Carte postale des années 1900.
Légende : SALIN-DE-GIRAUD.
Éditeur : non indiqué (verso divisé, avec pour seule mention « CARTE POSTALE».).

 

 

Document No 22

Sur une carte plus récente (des années 1920 d'après la bordure blanche et la teinte sépia), on aperçoit, à l'intérieur même du site industriel, deux cabanes tout à fait classiques, au pignon-façade maçonné, à la chape faîtière blanche et à la souche de cheminée en tôle. On note jusqu'à neuf rangées de sagne sur les versants.

Carte postale des années 1920 (bordure blanche et teinte sépia).
Légende : SALIN-DE-GIRAUD (B.-du-R.) – Vue des Salins.
Éditeur : Lyzon.

 

 

Dcument No 23

Il serait vain aujourd'hui de chercher la longue théorie de cabanes salinières photographiée par l'ethnologue Carle Naudot : en 1943, il n'en restait plus qu'une d'après la carte des « Cabanes et bergeries en Camargue, en 1943 », publiée dans le volume Provence du Corpus de l'architecture rurale française (11). Salin-de-Giraud ayant été créé en 1856, il est vraisemblable que les cabanes salinières furent construites dans la deuxième moitié du XIXe siècle.

(11) Jean-Luc Massot, op. cit., p. 73.

Cabanes de sauniers et leurs annexes à Salin-de-Giraud en 1914 (photo de Carle Naudot).

 

4 - En 1938, « la maison saintine »

Un demi-siècle après l'épisode saintois de van Gogh, la trace et le souvenir des cabanes et maisonnettes péri-urbaines des Saintes-Maries-de-la-Mer étaient apparemment perdus. Il suffit, pour s'en convaincre, de se reporter au chapitre consacré à « la maison saintine » dans le livre publié en 1938 aux éditions Delaveau par Rul d'Elly, La Camargue gardiane (12). Rien n'y transparaît sur l'habitat des gardians et des pêcheurs un demi-siècle plus tôt :

« La maison, aux Saintes, est d'un type uniforme, basse et à un seul étage. Elle est blanchie à la chaux à l'extérieur et à l'intérieur; les ouvertures sont, comme dans les mas, garnies de moustiquaires; les toitures sont à pente douce et couvertes en tuiles romaines; la salle commune avec sa vaste cheminée, et l'escalier droit montant aux chambres, se retrouve comme en campagne. Les plafonds sont aussi formés de poutrelles apparentes, et le mobilier, comme d'ailleurs la décoration intérieure de l'appartement, n'offrent aucune variante.
Nous parlons ici de la vieille maison saintine, en voie de disparition. »

(12) (d')ELLY Rul, La Camargue gardiane, Michel Delaveau, Paris, 1938, 165 p., en part. chap. 3 (L'habitation, la cabane, le mas, la maison saintine), pp. 26-32.

À SUIVRE


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Le 2 décembre 2008 / December 2nd, 2008 - Complété le 9 décembre 2008 - 17 janvier 2009 - 21 mars 2009 - 9 mai 2009 - 13 août 2009 / Augmented on December 9th, 2008 - January 17th, 2009 - March 21st, 2009 - 3 mai 2009 / May 3rd, 2009 - May 9th, 2009 - August 13th, 2009

Référence à citer / To be referenced as :

Christian Lassure
L'évolution de la cabane camarguaise au XXe siècle d'après des cartes postales et photos anciennes (The evolution of the Camarguaise hut in the 20th century as shown in old postcards and photos)
IX - Van Gogh et les chaumières saintines (Van Gogh and the thatched houses and huts at Les Saintes)
http://www.pierreseche.com/chaumieres_villageoises.htm
2 décembre 2008

 

I - Cabanes entièrement en roseau des années 1900

II - Le mas de l'Amarée et ses deux cabanes aux Saintes-Maries-de-la-Mer

III - Les cabanes du premier mas du Simbèu aux Saintes-Maries-de-la-Mer

IV - Les cabanes du « deuxième mas du Simbèu » aux Saintes-Maries-de-la-Mer

V - Cabanes et maisons de pêcheurs en Camargue

VI - Les « Cabanes de Cacharel » aux Saintes-Maries-de-la-Mer

VII - Cabanes classiques

VIII - Intérieurs de cabanes

IX - Van Gogh et les chaumières saintines

X - Cabanes du front de mer aux Saintes-Maries-de-la-Mer

XI - Cabanes hôtelières et maisons à la gardiane

XII - Vocabulaire architectural de la chaumière camarguaise

XIII - Les auvents dans la cabane de gardian

XIV - Les extensions de la cabane de gardian

XV - Cabanes représentées sur le plan de la Camargue de 1584

 

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