ARCHITECTURE VERNACULAIRE

CERAV

DISPOSITIFS D'IRRIGATION À NONZA AU CAP CORSE (HAUTE-CORSE)

Irrigation devices at Nonza in the Cap Corse region, Haute-Corse

Jean-Pierre Guillet

 

 

2 - LE CANIVEAU SUSPENDU DES PARCELLES À LIMEA

 

Cet ouvrage d’art se trouve sur le mur est de la parcelle N° 472, section E, selon l’actuel plan cadastral (figure 1), numérotée 268 sur l’ancien (figure 2), au lieu-dit Cane Morto.

 

Fig. 1 : Cadastre actuel.

 

Fig. 2 : Cadastre ancien.

 

Il est représenté en totalité en figure 3. Celle-ci est un assemblage panoramique de 10 photographies prises depuis le mur séparant – à l’ouest - les terrasses de la parcelle. L’image originelle présentait une déformation due à la position de l’appareil photo, plus basse que celle du caniveau. Elle a donc été rectifiée avec la fonction «perspective » d’un logiciel de traitement d’image.

 

 

Fig. 3 : Panorama.

 

Le dessin à main levée ci-dessous (figure 4)  donne une idée des grandes lignes de l’ouvrage. On ne cherchera pas à y trouver autre chose que des indications qualitatives, les proportions ayant subi, pour la lisibilité de l’ensemble, quelques dommages collatéraux.

 

Fig. 4 : Les grandes lignes de l'ouvrage.

 

Sur la figure 5, le détail du plan cadastral actuel, ont été portés quelques indications et repères. Le trajet de l’eau est figuré selon la ligne brisée rouge. Le départ est en A.

 

Fig. 5 : détail du cadastre actuel.

 

L’amenée d’eau se faisait selon la plus grande pente, en suivant AB, depuis la parcelle 473 située en surplomb à l’est.

 

Le débouchement de l’amenée vers le caniveau s’effectuait en B. Le caniveau suspendu proprement dit va de B à C.

 

Ensuite l’eau continuait dans un caniveau classique, en légère surélévation de C à D puis, sur la droite, de D à E.

 

La partie AB, l’amenée donc, figure sur les photos 4 et 6, toutes les deux prises en contre plongée. La fonction de descente de l’eau se doublait d’une voie d’accès entre terrasses 472 et 473 et peut-être plus haut, vu le « couloir » visible en haut de la figure 4.

 

 

Fig. 4 : Haut de l'amenée.

 

Fig. 6 : Bas de l'amenée.

 

Sauf infirmation par des fouilles, il semble qu’on ait recouru là à des tuyauteries en terre cuite intérieurement vernissée, dotées d’une extrémité évasée en cône, telles qu’on en rencontre beaucoup dans les terrasses (voir photos des citernes dans d’autres chapitres). On en voit deux tronçons sur la figure 5. Ils gisent près du point A et témoignent d’une dégradation, très probablement par des passages d’animaux. Il n’est pas exclu de penser que cette canalisation ait été précédée, plus anciennement, par un caniveau à ciel ouvert plus rustique également, souvent rencontré dans le réseau.

 

Fig. 5 : Tuyau d'amenée en A.

 

Dans sa partie basse, l’amenée est effectivement constituée des mêmes tuyauteries complètement enfouies dans un appareil cimenté. Elle tourne à angle droit vers le sud pour se déverser en cascadant dans le caniveau suspendu. Voir figures 7 et 8. Le passage des utilisateurs est assuré par un escalier en deux volées tournant de la même façon comme on le voit sur les mêmes figures.

 

 

Fig. 7 : Débouché de l'amenée en B.

 

Fig. 8 : Idem.

 

Le caniveau suspendu commence là, en B, et chemine sur 30 mètres au flanc du mur soutenant la parcelle 473. On en trouvera trois photos prises depuis B selon des altitudes différentes, en 9, 10 et 11. Sans être encore fonctionnel, il est en relativement bon état, assez pour analyser sa technique de construction.

 

 

Fig. 9 : Vue plongeante.

 

Fig. 10 : vue plongeante.

 

Fig. 11 : Lames support.

 

Les premiers éléments mis en place lors de la construction sont les lames de soutien visibles à peu près sur tous les clichés mais détaillés en 12 et 13. Comme la quasi-totalité de la structure, elles sont réalisées avec des plaques de schiste local et au mieux grossièrement façonnées. Elles ont été implantées orthogonalement au mur lors de sa construction et doivent y pénétrer profondément. Leur espacement est de 50 à 70 cm, de façon à ne pas exiger des lames de fond de caniveau trop longues.

Ces dernières sont disposées parallèlement au mur en offrant une surface supérieure relativement plane. Pour en avoir fait l’essai, je sais qu’il est difficile d’aplanir de telles roches sans arriver le plus souvent à les casser. Il devait donc y avoir surtout un tri de lames proches de l’idéal et, leur rareté croissant proportionnellement à leur longueur, on trouve là une explication au choix d’espacement des lames de soutien. Pas trop grand pour la raison précitée et pas trop court pour ne pas accroître le travail de construction.

 

Celui-ci commençait par le bon choix d’implantation des lames de soutien. Il s’agissait en effet d’approcher au mieux la pente souhaitée pour le caniveau. Comme il n’y avait aucune possibilité d’ajustage par usinage, que les lames de soutien ne pouvaient être mises en place à mieux que quelques centimètres près et que les lames de fond étaient d’épaisseur variable, il fallait procéder à des corrections avec les moyens du bord. Il s’agit de cales de surépaisseur bien visibles sur les figures 12 et 13. Constituées de morceaux de schiste de petite taille, elles étaient très faciles à trouver et à trier dans les chutes de taille des grosses lames. Cette technique rend donc indépendants les ajustages des lames de soutien et des lames de fond. Le système pouvait d’ailleurs être remis à contribution ultérieurement pour corriger les effets de tassement du mur ou d’inclinaison des lames de soutien. C’est simple et remarquable.

 

J’aimerais cependant savoir quels outils de mesure de niveau étaient mis en jeu, que ce soit pour décider de l’implantation des lames de soutien ou pour le réglage fin en hauteur des lames de fond.

 

Fig. 12 : Vue perspective.

 

Fig. 13 : Lames support B.

 

Les lames de fond ont très certainement été retaillées pour s’abouter le mieux possible. L’étanchéité du fond était ensuite assurée par du ciment. On voit de tels joints sur les photos 14 et 15. Il serait intéressant de savoir si celui-ci avait été précédé – chronologiquement – par de l’argile qui pouvait présenter l’avantage de conserver une certaine plasticité préservant – ne serait-ce que partiellement – l’étanchéité quand les lames se déplaçaient (alors que le ciment se fendait et fuyait).

 

Par contre les côtés des lames de fond ne semblent pas avoir été travaillés. Probablement pour éviter un surcroît de travail totalement inutile. On peut se demander si c’est ce souci d’aller au plus simple qui conduisait parfois à placer des lames franchement plus larges comme sur la photo 15 ou si étaient prévus certains évasements du caniveau, pour permettre de prélever de l’eau avec un récipient trop large pour le canal « standard ».

 

Fig. 14 :  Joints d'étanchéité.

 

Fig. 15 : Lame plus large.

 

Outre un fond, un caniveau a besoin de bords. Comme il est visible sur les photos de 8 à 15, ceux-ci étaient réalisés avec des blocs également bien sélectionnés. Il fallait en effet qu’ils reposent sur les lames de fond par une face relativement plane, en équilibre naturel, au moins pour ceux opposés au mur. En examinant avec un bon agrandissement la figure 1, on constate qu’ils n’étaient pas particulièrement triés ni retaillés pour offrir des faces jointives avec le précédent et le suivant, contrairement aux lames de fond. Les contraintes mécaniques d’assemblage ne sont pas les mêmes et le constructeur pouvait, avant cimentage, combler les lacunes avec de petits blocs sans nuire à la solidité et à la stabilité, ce qui était évidemment exclu pour le fond.

 

Au bout d’une trentaine de mètres, le caniveau atteint en C une terrasse de la parcelle plus haute que la précédente. Il n’est alors plus nécessaire de le construire en suspension. Selon CD et DE, il se contente d’être en légère surélévation (figure 18).

 

Fig. 18 : Caniveau en légère surélévation

 

En C, un déversoir en dérivation permettait d’arroser l’extrémité sud de la terrasse basse. On en trouve deux représentations en 16 et 17. Il devait disposer d’une vanne qui consistait peut-être en une simple plaque de schiste.

 

Fig. 16 : Déversoir en dérivation.

 

Fig. 17 : Idem.

 

Sur toute sa longueur, le caniveau suspendu surplombe une étroite terrasse (ou plutôt une banquette (voir dessin 19) dont la destination me laissait perplexe. Une information de C. Pasqualini de l’OEC a éclairé ma lanterne : il s’agit d’une sorte de dépotoir où les cultivateurs rangeaient les trop abondants cailloux rencontrés lors des bêchages de la parcelle. On trouve de tels empilements bien construits (pour occuper le moins de place possible) dans beaucoup de terrasses, souvent en constituant un muret de séparation. Dans le cas présent, on peut admirer l’esprit pratique des constructeurs qui ont fait d’une pierre (sic) trois coups : éliminer les cailloux de la terre, aménager une banquette qui permet un entretien plus aisé du caniveau et enfin renforcer le mur de soutènement.

 

Dessin 19.

 

On peut ajouter à ceci une interrogation plus générale concernant l’ensemble de l’ouvrage : pourquoi avoir choisi cette difficile construction alors qu’il aurait été physiquement possible de réaliser à moindres frais et efforts, depuis A, une dérivation circulant par exemple le long du sommet du mur séparant la parcelle 472 des 473 et 475 ? Faut-il songer à une interdiction du propriétaire de ces parcelles surplombantes ? Cela paraît improbable compte tenu du communautarisme omniprésent dans le réseau d’irrigation. La question reste posée et on verra qu’elle revient à propos d’autres ouvrages du même type.

 

Quelques dimensions (la plupart de ces données sont approximatives et devraient laisser place à un plan détaillé et précis que je n’avais ni le temps ni les moyens de lever) :

Hauteur utile du caniveau : 12 cm - Largeur au sommet des bords : 20 cm - Longueur du caniveau suspendu proprement dit (BC) : 30 m - Longueur du caniveau classique : 10 m - Hauteur du caniveau au-dessus de la banquette (F) : 1 m - Largeur de la banquette (G): de 1,50 m en C à 2,50 m en A - Hauteur de la banquette (H) : de 1,10 m en C à 1,50 m
 

Adresses utiles :

(1) Association des amis du site de Nonza, siège social : 20217 NONZA

(2) jeanpierreguillet[at]free.fr


Pour imprimer, passer en mode paysage
To print, use landscape mode

© CERAV
Le 12 mai 2008 / May 12th, 2008

Référence à citer / To be referenced as :

Jean-Pierre Guillet
Dispositifs d'irrigation à Nonza au Cap Corse (Haute-Corse) (Irrigation devices at Nonza in the Cap Corse region, Haute-Corse)
1- Le caniveau suspendu des parcelles à Limea (The suspended channel of the Limea plots)
http://www.pierreseche.com/caniveau_suspendu_limea.htm
12 mai 2008

page d'accueil           sommaire terrasses         

1 - Le caniveau suspendu du vallon de Pischina          2 - Le caniveau suspendu des parcelles à Limea          3 - Le caniveau suspendu des terrasses à Croce

4 - Les caniveaux sur le ruisseau du couvent          5 - Le déversoir suspendu de Navacella          6 - Les deux grands caniveaux de Vaccile

7 - La fontaine de la parcelle 140          8 - Les réservoirs          9 - Le réseau d'irrigation sur le chemin de Nonza à Olcani - Partie basse

10 - Le réseau d'irrigation sur le chemin de Nonza à Olcani - Partie haute           11 - Les conduits de facture industrielle          12 - Les passages sous la route

13 - Les réservoirs (1re partie)          14 - Les réservoirs (2e partie)        15 - Synthèse des observations des irrigations anciennes de Nonza

16 - Une passerelle en pierre sèche à Nonza (Haute-Corse)          17 - Un réservoir, des canaux et une énigme à Nonza (Haute-Corse)

18 - Réflexions sur quelques énigmes du patrimoine rural de Nonza (Cap Corse)