LA ROULOTTE DE BERGER D'APRÈS DES ENLUMINURES DE LA FIN DU MOYEN ÂGE

The shepherd's caravan as shown in illuminated manuscripts of the late Middle Ages

Christian Lassure
agrégé de l'Université

Dans un précédent article – La roulotte de berger d'après des cartes postales et photographies anciennes –, nous faisions état du fait que la pratique du parc à ovins mobile, jointe à l'emploi d'une roulotte d'habitation pour le berger, était attestée dès la fin du Moyen Âge à en juger d'après des manuscrits enluminés de cette époque. À l'origine de cette affirmation, la découverte, sur le site Internet Mediaephile - Ressources médiévales, de six enluminures du XVe siècle où figuraient ce qu'il faut bien qualifier d'ancêtres lointains des cabanes mobiles de la première moitié du XXe siècle.

Nous nous proposons de reprendre ici ces six illustrations plus une septième, dénichée ultérieurement, en assortissant chacune d'elles de la description de la roulotte de berger qui y figure.

Document No 1

Folio 321v d'un manuscrit enluminé du XVe siècle conservé à la Bibliothèque publique de New York : miniature pleine page, sans légende.

Dans cette page d'un manuscrit enluminé conservé à la Bibliothèque publique de New York, on distingue, dans l'angle supérieur droit du document, un parc à moutons reconnaissable à ses claies maintenues en place par des étais extérieurs. Le long d'un côté du parc, est garée une cabane en forme de hutte à deux versants, posée sur une charrette à deux roues en bois, à moyeu et rayons, et à deux longs timons à l'avant. Les excroissances visibles sur ces derniers servaient à accrocher des chaînes reliées au harnais d'un animal de trait. L'entrée de la cabane est en pignon, le seul endroit susceptible d'accueillir une ouverture. Dépourvue de parois verticales et réduite à une simple bâtière couverte de chaume, la cabane ne devait permettre que la position allongée.

Agrandissement de détail.

Document No 2

Page figurant Montaigut-le-Blanc dans l'Armorial d'Auvergne, Forez et Bourdonnais de Guillaume Revel (vers 1456). Source : Français 22297, fol. 308.

En contrebas du village de Montaigut-le-Blanc (aujourd'hui dans le Puy-de-Dôme), représenté dans l'Armorial (1) de Guillaume Revel (vers 1946), on aperçoit, d'un côté (à gauche) un parc mobile et sa roulotte de berger, de l'autre côté (à droite) le berger assis sous un arbre,  son chien à ses côtés, et les moutons qui paissent à proximité. La cabane sur roues, pour autant qu'on puisse en juger, a un toit à deux pentes, un essieu fixe et un long timon.

Agrandissement de détail.

Document No 3

Annonce à Joachim, dans Fleur des histoires (3e ou 4e quart du XVe siècle) de Jean Mansel.

Dans cette Annonce à Joachim du 3e ou du 4e quart du XVe siècle, tirée de Fleur des histoires, le peintre a représenté, au plan intermédiaire, une cabane mobile en planches, montée sur un essieu à deux grandes roues en bois à moyeu et rayons et couverte d'un toit à deux versants. Le pignon avant est équipé de deux timons pour l'attelage d'un animal de trait. Ce qui semble être l'entrée de la cabane se découpe dans la partie basse du pignon avant mais cet emplacement, joint à la taille riquiqui de l'embrasure, ne paraît pas réaliste. Un petit orifice (ventilation ?) s'ouvre dans le triangle du pignon.

Document No 4

L'Annonce aux bergers, de Simon Marmion, enlumineur et peintre né à Amiens (vers 1425), mort à Valenciennes (1489). Source : Wikipedia Commons.

Dans cette Annonce de la naissance du Christ aux bergers, on reconnaît, au plan intermédiaire, en bas d'un versant herbeux où paissent des moutons, une cabane de planches, coiffée d'un toit à deux versants et dotée de deux essieux, soit quatre roues en bois, à moyeu et rayons. Aucun timon n'est visible. Dans le triangle du pignon de gauche, se dessine un petit orifice (ventilation ?). Sur le côté long visible, les planches sont en position verticale. La nature du matériau de couverture reste à déterminer.

Document No 5

L'Annonce de la naissance du Christ aux bergers, Heures de la Vierge : Terce,  (vers 1450-1475), Koninklijke Bibliotheek, La Haye, fol. 61v.

La cabane en planches figurant sur cette page d'un Livre d'heures de Tournai du 3e quart du XVe siècle, tient davantage de la représentation traditionnelle de la niche à chien que de la roulotte de berger. L'engin se déplace grâce à quatre roulettes pleines, montées sur deux essieux. L'entrée est en pignon. Le toit à deux pentes est en planches disposées horizontalement, peut-être à clins (2).

Document No 6

Le devoir de protection, dans Faits et dits mémorables, de Maxime Valère, France, XVe siècle, Paris, BNF, département des manuscrits, Français 6185 fol. 112v.

Au plan intermédiaire, dans la partie gauche de cette image tirée du manuscrit enluminé du XVe siècle Faits et dits mémorables, de Maxime Valère, on aperçoit une très reconnaissable cabane mobile en planches, coiffée d'un toit apparemment à quatre versants (deux longs et deux petits) et montée à l'avant et à l'arrière sur deux essieux ayant chacun deux petites roues pleines en bois. Dans chaque pignon s'ouvre une petite fenêtre au carré, fermée par un volet intérieur en bois. L'habitacle est ouvert sur tout un côté : on y voit le berger, assis, en train de tondre un mouton (s'agit-il d'un dispositif véritablement observé ou ou d'une latitude prise par le peintre ?). La toiture est peinte en rose, ce qui semble indiquer un matériau autre que le bois.

Document No 7

Page de l'Annonce aux bergers dans le Livre d'heures du Maître du Bréviaire de Jean sans Peur (Paris ou Bourgogne, vers 1413-1419), Coll. New York, Alexander Acevedo.

Dans cette enluminure de la 2e décennie du XVe siècle ayant pour thème l'Annonce aux bergers de la venue du Christ, on peut observer, au premier plan, une très caractéristique cabane mobile de berger. Le miniaturiste a choisi de ne peindre qu'une moitié de la structure si bien qu'il est impossible de savoir si l'on a affaire à l'avant ou à l'arrière. Quoi qu'il en soit, le pignon visible semble être ouvert et un fenestron se découpe dans la paroi latérale, juste au-dessus de la roue en bois. Le toit à double pente est en planches posées horizontalement, peut-être à clins.

Conclusion

Si l'on compare ces sept roulottes de berger du XVe siècle à celles attestées photographiquement dans les premières décennies du XXe siècle, on constate que la forme classique de la cabane en planches – deux gouttereaux et deux pignons sous un toit à double pente – existe déjà et prédomine (une seule exception, la roulotte du manuscrit de la Bibliothèque publique de New York, où l'habitacle est non pas une caisse en bois mais une hutte à deux versants) (3). De même, à en juger d'après les deux exemples observés, la roulotte à essieu unique et timon(s) est déjà présente,  tout en coexistant avec la roulotte à deux essieux, figurée à trois reprises. Dans deux de ces trois exemples, la cabane se meut non pas sur de grandes roues à moyeu et rais mais sur des roulettes pleines. Un point à noter cependant : aucune des images étudiées ne donne à voir de roulotte à trois roues, laquelle serait donc une évolution technique postérieure au Moyen Âge.

Ces constatations sont faites en partant du principe que les figurations sont réalistes et ne comportent pas d'erreurs mais ce n'est pas une certitude absolue. Un nombre plus élevé de représentations permettrait sans doute d'avoir une vision moins parcellaire, plus détaillée, et plus sûre.

NOTES

(1) Un armorial est un « registre ou catalogue contenant les armes ou armoiries de la noblesse d'un royaume, celles d'une province, d'une ville, d'une famille, dessinées, peintes ou seulement décrites (Bouillet 1859) » (définition donnée dans le Trésor de la langue française).

(2) Des planches disposées à clins sont des planches se recouvrant partiellement à la façon de tuiles ou d'ardoises.

(3) Cette hutte à deux versants, posée sur une charrette, n'est pas sans rappeler l'habitacle constitué par l'énorme cloche de paille du document No 21 étudié dans la première partie de notre étude et provenant du Puy-de-Dôme.


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© CERAV
Le 26 juillet 2013 / July 26th, 2013

Référence à citer / To be referenced as :
Christian Lassure
La roulotte de berger d'après des enluminures de la fin du Moyen Âge (The shepherd's caravan as shown in illuminated manuscripts of the late Middle Ages)
http://www.pierreseche.com/roulotte_de_berger_2.htm
26 juillet 2013

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Série : La roulotte de berger

I - La roulotte de berger d'après des cartes postales et photographies anciennes
The shepherd's caravan as shown in old postcards and photographs

II - La roulotte de berger d'après des enluminures de la fin du Moyen Âge
The shepherd's caravan as shown in illuminated manuscripts of the late Middle Ages

III - La roulotte de berger d'après des spécimens subsistants
The shepherd's caravan as revealed by surviving specimens

IV - Cabane à roues tirée par une paire de bœufs à Saint-Léger-du-Malzieu (Lozère) dans les années 1950
Wheeled hut drawn by a pair of oxen at Saint-Léger-du-Malzieu, Lozère, in the 1950s

V - Berger et sa cabane à roues à Saugues (Haute-Loire) dans les années 1950
Shepherd and his wheeled hut at Saugues, Haute-Loire, in the 1950s

VI - Un fabricant de roulottes de berger : Vasseur X., à Sancourt (Somme)
A maker of shepherd's caravans: Vasseur X., at Sancourt, Somme

VII - Cabanes-roulottes de bergers dans la chaîne des Puys (Puy-de-Dôme)
Shepherd's caravans in the Chaîne des Puys, Puy-de-Dôme

VIII - Cabane-roulotte de Ternant (à Orcines, Puy-de-Dôme)
A shepherd's caravan at Ternant, Orcines, Puy-de-Dôme

IX - La roulotte de berger vue par les artistes
The shepherd's caravan as seen by artists

X - Vie et logement du berger à Chanat-la-Mouteyre et alentour dans le Puy-de-Dôme au XXe siècle
The shepherd's life and lodging at Chanat-la-Mouteyre and nearby in Puy-de-Dôme in the 20th century

 

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