RÉUTILISATIONS DES CABANES EN PIERRES SÈCHES

Changes of use in dry stone huts

Christian Lassure

 

En dehors des utilisations principalement agricoles ou plus rarement pastorales auxquelles elles étaient destinées, les cabanes en pierre sèche ont pu servir, de façon accidentelle et dans certaines régions, de refuges à des gens en marge de la société ou en rupture de banc avec elle (malades contagieux, Religionnaires, contrebandiers, déserteurs) ou encore, lors d'une histoire récente, à des maquisards, des civils fuyant les bombardements, et des adeptes du « marché noir ».

1 - Pestiférés

On sait avec certitude que des « capitelles » ont servi de refuges à des pestiférés, tel ce Guillaume Amalric, laboureur de Moussac (Gard), qui, en 1630, étant atteint de « maladie contagieuse », fait son testament, « étant au devant de sa cappitelle », ainsi que nous l'apprend un acte, enregistré par Mathieu Reynaud, notaire de Valence (1). Un doute subsiste toutefois quant à la parfaite adéquation de ce que l'on entendait en 1630 par « capitelle » et ce que l'on entend aujourd'hui par ce même mot.

© Document Christian Lassure

2 - Religionnaires

Toujours dans le Gard, c'est un fait notoire que lors des Assemblées du Désert au XVIIIe siècle, les Religionnaires se réunissaient dans certaines « capitelles » et autour d'elles.

A la suite d'un rapport du subdélégué Novy de Caveyrac, un jugement rendu en 1727 par Louis de Bernage, intendant de la Province du Languedoc, condamme « aux Galères de sa Majesté, pour y servir comme Forçats », plusieurs Nîmois coupables d'avoir assisté à une assemblée tenue « dans une Hute battie à pierre seiche, appellée vulgairement Capitelle, et au tour d'icelle, située à l'extrémité de la Vigne appartenant au nommé Conord, quartier de Valdegour ». Quant à la hutte, elle devait être « rasée et démolie jusqu'aux fondemens, sans pouvoir être rétablie ». Le procès-verbal de Novy précise qu'elle pouvait contenir entre « 15 et 20 personnes en se pressant bien » (2).

Quelque seize ans plus tard, une autre « capitelle », sise à la métairie du four Bourrély, chemin de l'Alouette, devait être démolie sur ordre des autorités pour avoir également abrité une Assemblée du Désert. Novy de Caveyrac, qui toujours pourchassait les hérétiques, a laissé une description précise du bâtiment : faisant « deux toises de longueur sur deux de largeur dans œuvre, et trois toises à l'élévation » (soit 3,90 m de côté intérieurement), il comportait « une quinzaine de sièges à l'intérieur placés vis-à-vis de la porte, ce formé par des pierres plates adhérantes au mur en forme de consoles et dans l'angle gauche un siège plus grand formé d'une seule pierre ». L'informateur de Novy de Caveyrac estimait le nombre des personnes réunies dans la « capitelle » à trente ou quarante. Aucune ne devait finalement être inquiétée (3).

 © Document Christian Lassure

3 - Contrebandiers

Un type de réutilisation également attesté est celui aux fins de contrebande. Dans son étude sur les cabanes du causse de Limogne dans le Lot, Pierre Dalon mentionne qu' « Une cabane de Carnac-Rouffiac était appelée autrefois 'cabano del alumetaire' parce qu'elle avait servi de refuge ou d' 'atelier' à un colporteur d'allumettes de contrebande » (4). Cela cependant ne nous fait remonter guère plus haut que le dernier tiers du XIXe siècle, après l'expropriation des fabriques d'allumettes et la création d'un monopole d'état.

Des cadoles du Roy Guillaume près de Tournus en Saône-et-Loire auraient servi elles aussi d'atelier et de cachette au « chimicou », trempeur et contrebandier d'allumettes, ainsi que le rapporte Georges Bellicot (5).

4 - Résistants

Plus près de nous encore, sous l'Occupation allemande, des cabanes, en diverses régions (Quercy, Périgord, Bourgogne, Champagne, Languedoc, Provence), ont servi de refuges à des Résistants.

À Reillane, dans les Alpes-de-Haute-Provence, des cabanons servaient d'abris aux maquisards recevant par parachutages, des armes devant être livrées aux maquis alpins (6).

À Luzech, dans le Lot, une cabane dont nous avons fait le relevé, avait abrité, pendant la dernière guerre, huit partisans, aux dires d'un fermier voisin, lui-même ancien chef de maquis.

À Montignac-sur-Vezère, en Dordogne, comme le suggère Eric Bougot, les Résistants trouvèrent dans les cabanes de vigne d'excellents points de rencontre ou de gîte pour une nuit (7).

Toujours en Dordogne, à Savignac-les-Eglises, une vaste cabane a servi de dortoir provisoire à des maquisards, installation facilitée par la présence de deux étages de poutres sous la voûte ainsi que d'une cheminée et d'une fenêtre (8).

Enfin, dans le Tournugeois, à Charmes, en 1944, deux prisonniers qui s'étaient évadés d'un convoi allemand, couchèrent dans une cadole jusu'à la Libération, travaillant le jour aux vignes pour le compte des villageois (9).

Il va de soi que les Allemands, qui ne badinaient pas, ne se faisaient faute de détruire les cabanes qu'ils repéraient comme refuges. Ainsi, dans les Bouches-du-Rhône, dans la région de Salon-de-Provence, au Vieux-Lambesc, comme nous l'apprend François Salonnet (10), ou encore à Bruys et à Saint-Georges, comme l'évoque Jean Blanchard (11). Également dans le Barséquanais (Aube), où les Occupants détruisirent à la grenade des cadoles pour empêcher qu'elles ne servent d'abris à des Résistants (12).

5 - Civils fuyant les bombardements ou les massacres en août 1944

Une réutilisation (qui heureusement ne s'est jamais matérialisée) est celle de réfuge en prévision de bombardements aériens sur le village. Le cas est rapporté à Aubais, dans le Gard, par Claude Bouet (13) : après le bombardement d'Aigues-Vives par un avion dit « fantôme » un soir d'août 1944, des familles aubaisiennes, dans les semaines qui suivirent, préparaient un baluchon dans l'attente de l'alerte qui les ferait fuir vers les cabanes de la garrigue.

Toujours en août 1944, lors de la débâcle des Allemands et de son sillage d’exactions dans l’Aveyron, des habitants du village d’Azinières sur le Causse Rouge, sachant la présence de Résistants et craignant que leur village ne fût incendié, se résolurent à aller coucher deux nuits de suite dans une grande caselle. Ils s’y retrouvèrent, munis de couvertures, à 8 ou 9 personnes, ne retournant au village qu’après y avoir envoyé un des leurs en reconnaissance. Là encore, ce fut une fausse alerte (14)

6 - Adeptes du « marché noir »

Pour l'anecdote, signalons, à la suite d'André Cablat (15), une réutilisation insolite de certaines cabanes héraultaises à la même période sombre de notre histoire, à savoir comme lieu d'échanges au marché noir : « Certaines capitelles des hauts cantons de l'Hérault, loin des regards indiscrets, auraient servi de lieux d'échanges entre paysans et citadins essayant de résoudre le difficile problème du ravitaillement. Il suffisait de glisser sous l'une de leurs pierres la commande et l'argent correspondant, selon une convention des initiés, pour trouver en retour dans le placard de la capitelle la marchandise désignée ».

7 - Accouchées

Tout aussi anecdotique est l'utilisation accidentelle de cabanes en pierre sèche comme lieu d'accouchement. Plusieurs cas ont été répertoriés à Soubès, village du Lodévois (Hérault), où les registres d'état-civil attestent que des femmes ont donné naissance à des enfants à l'abri d'une cabane (16). Comme les cabanes de cette commune n'étaient pas des résidences permanentes, on est bien obligé de penser qu'il s'agit d'accouchements prématurés de femmes travaillant aux champs.

NOTES

(1) Cf. Christian Lassure, Michel Rouvière et Daniel Thiery, La « cappitelle » de Guilhaume Amalric, laboureur du lieu de Moussac (Uzège), en 1630, dans L'Architecture vernaculaire, t. 21, 1997, pp. 74-75; Christian Lassure, A propos du testament de Guilhaume Amalric, laboureur de Moussac (Uzège), en 1630, dans L'Architecture vernaculaire, t. 23, 1999, p. 90

(2) Cf. le fac-similé de ce jugement inséré dans l'article de Monique Bernat : Un maset de pierre sèche dans la garrigue nîmoise, dans Connaissance du pays d'Oc, No 41, janvier-février 1980, pp. 62-66, en part. p. 64.

(3) Cf. A. Doumergue (Dr.), Nos garrigues et les assemblées du Désert. L’église de Nîmes sous la Croix, 1658-1787, 2e édition, 1924, pp. 61 et suivantes.

(4) Pierre Dalon, Les cabanes en pierre sèche du causse de Limoge (Lot), dans L’Architecture rurale en pierre sèche, t. 1, 1977, pp. 26-29 et figs 1-4, en part. p. 29.

(5) Georges Bellicot, Les cadoles du Roy Guillaume, Société des amis des arts et des sciences de Tournus, 1998, 40 p., en part. p. 7.

(6) Cf. Emile Lauga, Reillanne, Alpes-de-Haute-Provence, monographie, impr. Reboulin, Apt, 1972, en part. p. 143.

(7) Eric Bougot, Recensement des cabanes en pierre sèche de Montignac-sur-Vezère (Périgord Noir), dans L'Architecture vernaculaire, t. 13, 1989, pp. 3-20.

(8) Jean-Loup d'Hondt, Additions à l'inventaire des cabanes en pierre sèche de Savignac-les-Eglises, dans L'ascalaphe, No 7, 1999, pp. 21-23, en part. p. 22.

(9) Cf. Georges Bellicot, op. cit., p. 7.

(10) François Salonnet, Des cabanes appelées bories..., dans Sallonensa, La revue Salyenne, 8e cahier, mai 1959, pp. 40-42 (texte) et 43-48 (fiches), en part. p. 46.

(11) Jean Blanchard, Dans nos collines provençales, les boris, dans Le Régional, Hebdomadaire de Salon, janvier 1951.

(12) Cf. Jean Daunay, Les cadoles du Barséquanais, Comité du tourisme du Barséquanais, Bar-sur-Seine, 1985, 32 p., en part. p. 8

(13) Claude Bouet, Les cabanes d'Aubais (Gard), polycopié, l'auteur, Aubais, juin 1990, env. 50 p., nombreuses cartes et planches photographiques h. t., en part. p. 34.

(14) Cf. André Fages, Caselles et pierre sèche, coll. Passion des Causses, Los Adralhans, Millau, 2000, 250 p., en part. p. 136.

(15) André Cablat, Recherches sur l’architecture de pierre sèche dans le département de l’Hérault, dans L’Architecture vernaculaire, t. 5, 1981, pp. 52-56.

(16) Cf. la brochure « Le chemin des capitelles » éditée par l'Association « Sauvegarde du patrimoine et de l'environnement de Soubès », s. d. (vers 1998/1999).


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© CERAV
Le 28 février 2006 / February 28th, 2006

Référence à citer / To be referenced as :

Christian Lassure
Réutilisations des cabanes en pierres sèches (Changes of use in dry stone huts)
http://www.pierreseche.com/reutilisations_des_cabanes.htm
28 février 2006

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