À PROPOS DE FAYSSE ET ESCAYRE :
Getting things straight about faysse and escayre Michel Rouvière La présente mise au point est extraite du tome 24 (2000) de L'Architecture vernaculaire
De la plaine au versant : l'évolution du mot faysse Le 2 juillet dernier, aux Journées occitanes de Thueyts (Ardèche), lors de ma projection consacrée aux paysages de pierre, un auditeur m'a reproché de ne pas employer le mot faysse (ou faïsse) pour désigner les terrasses de culture. Je lui ai simplement rétorqué que pour les désigner j'avais à ma disposition près de cinquante mots des parlers vernaculaires. Je lui ai d'ailleurs précisé que je n'étais pas très sûr de l'origine de l'attribution du vocable faysse aux terrasses aménagées sur les versants et qu'il était difficile de prouver à quelle époque le mot avait évolué de la plaine au versant ! Dans cette courte note, je propose quelques aperçus sur les observations que j'ai pu faire sur le mot faysse à partir de la lecture de documents originaux et d'informations transmises par d'autres chercheurs. J'estime qu'il est important de bien resituer le mot dans son contexte historique et vernaculaire en suivant son évolution dans l'espace et dans le temps. Il n'est pas question pour moi, cependant, de remettre en cause l'usage actuel du mot : la faysse désigne bien une bande de terre soutenue par un mur, le paret. Si l'on reprend le mot à son origine, le principe de la bande est admis, mais la notion d'étagement, en gradins, est apparue plus tard : - Ducange : fascia, bande étroite de terre. - Mistral : faisso, faicho (a.) (rom. faissa, faicha, cat. port. faixa, faxa, esp. faja, faisa, it. lat. fascia) s. f. - bande dont on enveloppe un enfant, maillot - intervalle entre les rangées de ceps, plate-bande de jardinage, sole de terrain, bande de terre soutenue par un mur. - P. Cayla (Dictionnaire des institutions, des coutumes et de la langue en usage dans quelques pays de Languedoc de 1535 à 1648, Montpellier, 1964, p. 311) : faisse : fagots et bande de terre - "faisses de lin où il y a cent cinquante poignées sans estre accomodés" (Castelnaudary, 1626). Je mentionnerai la remarquable thèse de Philippe Blanchemanche (Les terrasses de culture en régions méditerranéennes, thèse de doctorat de troisième cycle en ethnologie, 8 décembre 1986, École des hautes études en sciences sociales), et plus particulièrement le doute qui saisit cet auteur au sujet des terrasses mentionnées dans les zones de plaine par Emmanuel Le Roy Ladurie dans Les paysans du Languedoc, p. 78, note 1 : faïsses construites à Mauguio (Hérault) par les défricheurs (A.C. Mauguio, CC, compoix 1653, Fo 461 et suiv.) : - page 73, note 2 : "Un doute nous a saisi en lisant que l'on construisait des terrasses à Mauguio, au bord de l'étang du même nom à quelques kms de Montpellier (Le Roy Ladurie, 78, note 1). En réalité le compoix de 1653 de cette commune, auquel l'auteur fait référence, fait bien état de faïsses, mais c'est de tout autre chose dont il s'agit : il est par exemple porté à F. Caussat, 'un champ en huit faïsses confront du levant hoirs de F. Caussat, marin lesd. faïsses, la palus et l'estang, couchant le gau qui sépare les terres de Pérol et de Mauguio et du vent droit la palus, contient 9 cesterées et demy' (Fo 463). Ces parcelles de marais d'1,5 ha environ étaient en cours d'assèchement par un système de canaux reliés à la mer (gau) et des saignées découpant les terres en plusieurs lanières surélevées de 2 à 3 m. Cette indication n'en est pas moins intéressante pour l'origine du mot faysse sur laquelle on reviendra". - page 79, nouvelles réserves : "Ces espaces de terre entre deux bancs rocheux calcaires, ce sont les faïsses, terme que l'on retrouve un peu partout dans les départements méridionaux sous le nom de feïxes en Catalogne et dont la mention dans les documents manuscrits du Moyen-Age ne prouve pas grand chose". Pour la période médiévale, diverses mentions corroborent cette position, dans l'Ardèche (lettre de M. Daniel Leblevec à l'auteur, juillet 1993) : - "Pierre de Lafare donne aux Hospitaliers de la Commanderie de Trignan (diocèse de Viviers) ce qu'il possède dans les Bois Coustes, le bois chaud et la faïsse de l'Arc, situés à Bidon (Ardèche)" (A. D. des Bouches-du-Rhône, 56 H4575, 1er mars 1233); - "Noble Pierre de l'Isle vend aux Hospitaliers de Trignan, la 4e partie des fruits qu'il avait le droit de prélever sur une faïsse à Danaudelle, Saint-Just (Ardèche)" (A. D. des Bouches-du-Rhône, 56 H4594, 27 avril 1247). On imagine mal la présence de terrasses en ces lieux. Un autre courrier du même médiéviste est des plus explicites : - "terres données à la Commanderie des Templiers de Richerenches (Vaucluse) où il est fait mention de faïsse dans une zone de plaine alluviale, autour du village, où il n'y a manifestement pas de terrasses". Pour le sud du département de l'Ardèche, le dépouillement de nombreuses archives me permet de proposer un catalogue chronologique, quoique non exhaustif, concernant le mot faïsse et ses dérivés. Au XIIIe siècle : - 1244 : Fascia, Saint-Martin-de-Chandolas. Au XVe siècle : - 1434 : Las Fayssas, Ucel; - 1464-1497 : Vallon-Pont-d'Arc. R. Valladier-Chante note que les estimes sont très discrètes sur les faïsses. Deux lieux-dits mentionnés seulement. - XVe siècle : La Faysse, Uzer. Au XVIe siècle : nombreuses mentions à Voguë et au hameau de Banne (en plaine). Au XVIIe siècle : Les Fayssettes - Les Faysses Soubeyrannes, Mercuer. Au XVIIe siècle, il est intéressant de connaître l'avis d'Olivier de Serres (Théâtre d'agriculture et mesnage des champs, troisième lieu, pp. 228-229) : "Celle de la montaigne ou trop droite pente sera adoucie par des murailles traversantes, appelées bancs et colles qu'à pierre sèche, pour l'espargne, on y bastira en plusieurs endroits, près-à-près l'une de l'autre". Toujours dans le même chapitre, p. 255 : "à mesure qu'on les tirera, pour de là les transporter de mesme ès entours de la vigne, pour y servir de cloison, et ès traverses, pour bancs ou colles, la pente de la pièce le requérant". On notera qu'Olivier de Serres a placé les terrasses dans le troisième lieu, consacré à la vigne et à sa culture. Il ne mentionne pas les faysses et reste réservé sur la valeur des versants, citant la maxime : "En terroir pendant Ne mets ton argent" Au XVIIIe siècle, nombreuses mentions à Saint-Privat, Voguë, Vinezac. Au XIXe siècle, le toponyme est très courant. À Uzer, sur le cadastre de 1831, La Faysse correspond à une grande pièce de terre, plane, entre le village et la rivière. À partir des lieux cités et reconnus, il devrait être possible d'affirmer la présence ou non de terrasses, sans négliger les nombreux toponymes engendrés par le mot faysse : Fayssou, Fayssier, Longuefayssole, etc.
Jean-François Blanc donne cinquante vocables relatifs aux terrasses. On peut y ajouter les pailhats, propres aux versants de l'ancien vignoble de Courgoul et sa région dans le Puy-de-Dôme. L'analyse systématique des différents vocables désignant les terrasses, région par région, terroir par terroir, permettrait d'éclaircir définitivement le sujet et éviterait ainsi la banalisation de mots impropres ou de datations fausses. Pour souligner l'ambiguïté de certains vocables, je citerai deux exemples, tirés du dictionnaire de Paul Cayla : - enfayssement (pp. 255) : mise en fagots, fagotage (Cavanac, 1598); enfaysser (p. 256) : mettre en fagots ("lequel bois sera tenu fère copper enfaysser et charrier" (Montreal, 1567, 1561 - Paraza, 1581); faisse : fagots et bande de terre (p. 311); - échamps : très courant dans la région de l'Ardèche pour désigner les terrasses, ce mot a un tout autre sens dans la région de Carcassonne, celui d'essaim d'abeilles ("Est pacte que de tant que à ladite metterye à des bucs, sera tenu deu prendre garde tant pour prendre les eschamps que aussi tirer la cire et le miel à la saison") (1579, 1598) (p. 286). Faizant escayre : le bon angle d'approche Cette expression, très courante dans les actes anciens, en particulier dans les compoix et autres terriers de reconnaissances, est citée par Jean-François Blanc dans sa liste des vocables désignant les terrasses de culture. Jacques Schnetzler considère escayre comme synonyme de "gradin". Pour ma part, je suis d'avis que l'expression faire escayre ne renvoie pas à un découpage vertical, en degrés; de même que les confronts, elle aide à décrire la forme du champ, dans le plan horizontal. À l'appui de mon interprétation, je joins un inventaire chronologique de documents où cette expression apparaît. 1443-1445 : dans le sommaire des reconnaissances de Hugon de Jullien et de Barthélemy de La Vernade (Vinezac et Chassiers), Simon Broc possède à La Maurelle près de Joannas "une pièce de terre et pré sittuée près du ledit lieu indivise pour 1/2 faisant 2 esquerres en partant d'un plus grand corp"; Fo 106, il possède "une pièce de terre sittuée audit terroir de Maurelle indivise pour partie faisant esquere". En 1687, dans une estimation partage à la Métairie de Coussac, près de Joyeuse : "item une piesse de terre laborive, vegière et coudollas, où il y a quelques arbres pupliers du costé de la rivière de Beaune, confontant du levant laditte riviere, du couchant les hoirs du sieur André faizant escayre" ( ) "le reste de la pièce étant complanté de chastagners dans laquelle contenant comprize une portion de chastagners faizant escayre du cousté de la bise". Dans le compoix-terrier de Vinezac de 1653, Fo 279 : Guilhaume de La Rouvière possède "au terroir de Lospitau une terre et grange confrontant du levant terre de Toussaint de Montcouquol du couchant le rivière de Boude et terre de Claude Garnier et Antoine Cellier de bise, terre du sieur de Servissas, vallat entre-deux, du marin terre du tenantier, vallat entre-deux, et terre dudit Garnier faisant escayre". Pas de terrasses pourtant dans cette zone. Dans un lot d'archives privées : - à la date du 6 février 1729 (G) : "Premièrement nous nous sommes transporté dans une vigne fezant excayre appelée la Pérède" ( ) "Plus partie d'une autre pièce appellée Allobres laquelle partie nous l'avons estimé trente cinq livres fezant excayre, confrontant du coté du pied avec le ruisseau"; - à la date du 24 juin 1778 : "le chemin allant de Vinezac à La Croix des Rogations entre-deux du couchant vigne de Guillaume Perbost et de Pierre Payan de Chassiers et dudit, de bise par equaire ledit Perbost"; - le 24 thermidor an 11 : "et quelques mûriers, taillabilité de Lanas, cartier appelé Chamarot terre faisant plusieurs escayres traverser par le chemin"; Chamarot représente le lieu-dit actuel Camarou, où il n'y a pas de terrasses, il a uniquement des épierrements. Autres archives privées (P), en date du 3 septembre 1788, vente, Louis Pouzache de Vinezac : "plus une autre pièce de terre, contenant hermures chênes blancs et noyers, le champ faisant plusieurs équerres situé au terroir de Serremizier". Archives communales de Vinezac, fin du XVIIIe siècle, "Etat et consistence des terres nobles que le seigneur de Vinezac aprèzant suzettes (sic) à payer les [tailles ou les charges]" : - "Item une vigne un champ et bois du Saud y compris le bois du Moulin situé audit mandement de Vinezac confronte du levant, Marguerite Souilhet, Antoine Bonnet, Louis Chabert, Antoine Court, Pierre Chapuis, Vincent Chastagner, du couchant la rivière de Lande, du marin Jean Chabert d'Uzer, de bise Jean Roche, Jean-Pierre Souilhet faisant lad. pièce plusieurs escayres où il y a une grange couverte de thuiles"; - "Item, le pré sittué au terroir de Gourgrand ( ) le béal du moulin et ledit Allamel faisant escayre"; autre pièce "où il y a une grange couverte à thuiles faisant lad pièce plusieurs escayres". Archives privées, le 22 septembre 1828, "Testament lègue de Joseph Rouvière" : "le lot de Rouvière ainé, 1° - La partie méridionale d'une grande pièce de terre appelée Boude, consistant en prairie, champs, muriers, jardin, noyers, vignes, fruitiers, aulnaies, peupliers, landes et hermures avec une petite grange faisant esquerre". Si j'avais encore un doute sur le sens de l'expression, mon ancêtre le lève ! Dans une lettre récente, Mme Chantal Rouchouse complète mes informations avec plusieurs mentions escaïre ou faisant escayre relevées dans la région de Gras au XVIIIe siècle. Elle me signale en outre l'absence du mot escayre dans le dictionnaire languedocien-français et français-languedocien de Boissier de Sauvages de 1756. Par contre le mot figure dans "Le patois bourguesan" (c'est-à-dire de Bourg-Saint-Andéol) de L. Breysse, de 1997 : escayre signifie "équerre" et metre d'escaire, c'est "disposer à angle droit". Pour reprendre l'incontournable Blanchemanche, à la page 80 : " 'pièce de terre nommée la rompude ( ) faisant caisse et forcage du pied partie à cause de la pièce de Jean Teulon et de celle de Pierrre Dupont' : le mot caisse indique ici une dénivellation tandis que le forcage traduit le fait que les contours de la parcelle sont très irréguliers. Lorsque ces forcages (du français fourche, bifurcation) sont à angle droit, alors ces terres 'font plusieurs escayres et contornements du pied avec la maison, terre et demy vallat de Marcellin Sales' " (A. M. de Valleraugue, Livre du compoix du lieu et paroisse de Valleraugue, 1625, 2 vol., t. I, Fo 13, 71, 78 - copie du XVIIIe siècle). Compte tenu de leur importance historique et de leur présence majeure dans le paysage, les ouvrages et les aménagements lithiques méritent une terminologie exacte évitant la banalisation trop facile de mots impropres ou douteux. Sachant que faysse désigne une bande, une lanière cultivée, aussi bien en terrain plat qu'en terrain "pendant", et escayre un angle droit, rentrant, de parcelle, on évitera désormais de crier à d'anciennes terrasses de culture dès que l'on tombera sur ces vocables dans des textes d'archives. © CERAV Référence à citer / To be referenced as : Michel Rouvière sommaire terrasses page d'accueil sommaire lexiques
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