CHASSE, BRACONNAGE ET PIERRE SÈCHE À NAGES ET SOLORGUES (GARD)

Shooting, poaching and dry stone structures at Nages and Solorgues, Gard

Jean-Marc Ourcival (*)

La commune de Nages et Solorgues est située à une quinzaine de kilomètres à l'ouest de Nîmes, dans la plaine de la Vaunage. Le territoire communal (587 hectares) est constitué pour une moitié d'une plaine où est cultivée la vigne et pour l'autre moitié de collines actuellement couvertes de garrigues. Les constructions à pierre sèche que l'on trouve dans ces garrigues ont été utilisées surtout à des fins agricoles (cabanes, murs de terrasse) car l'essentiel des garrigues actuelles était au siècle dernier voué à la culture de l'olivier (Ourcival, 1995 ; 1998). Quelques constructions liées au pastoralisme (abris de berger, parcs à moutons et à chèvres) ou aux activités sylvicoles (huttes de charbonnier ou de bûcheron) ont été retrouvées dans d’autres zones du village.

La Combe des Moles

Les différents types de constructions à pierre sèche du quartier de la Combe des Moles (35 ha) ont déjà été étudiés. Les restes les plus visibles sont les murs des terrasses et une série de cabanes qui servaient à abriter les oléiculteurs pendant leur activité hivernale. La Combe des Moles présente un sol caillouteux et argileux de faible épaisseur reposant sur des roches calcaires et marno-calcaires du secondaire (Hauterivien). Ces roches se délitent en plaques appelées "lauzes" et sont utilisées pour la construction des cabanes et des murs. La zone où sont concentrés les différents aménagements liés à la chasse et au piégeage, est située sur le versant sud-est du "valat" de la Combe des Moles et comprend plusieurs parcelles anciennement plantées d'oliviers, d'une surface approximative de 0,25 ha (figure 1). Ces parcelles, très bien délimitées sur le terrain, sont incluses dans une très grande parcelle communale et ne correspondent pas à une parcelle cadastrée.

Méthodes d’étude et de restauration

Depuis 1993, différentes structures en pierre sèche (cabanes, murs, drains) ont été réhabilitées et étudiées par l'association (Ourcival et Abrial, 1998 ; Ourcival, 1999). La restauration débute par un débroussaillage des abords de la construction suivi du démontage des parties écroulées. Les pierres sont triées en deux catégories : pierres de reconstruction des parements ("lauzes") et petites pierres pour le calage et le drain à l’arrière du mur ("rèble"). Pour les murs détruits jusqu'au niveau du sol, le tracé de nos reconstructions suit alors l'alignement des grosses pierres de fondation qui ne sont jamais déplacées. Les constructions ont été remises en état après observation des parties en bon état et fouille minutieuse des parties dégradées. La fouille s'accompagne de la récupération et de la conservation systématiques des objets trouvés (débris de vaisselle et de bouteilles, outils, morceaux de métal, etc.), qui vont participer à la datation de l'occupation de ces zones. Toutes les inscriptions et les millésimes laissés dans les cabanes ont été relevés. Le tracé des différentes structures est reporté sur le plan cadastral, et des plans en coupes cotés ont été réalisés.

Description des aménagements liés à la chasse

1. Les postes de tir

1.1. La cabane (No 58 du recensement communal) (figure 2)

Elle présente un plan original en "e"; l'entrée, derrière un retour de mur, est invisible de l'extérieur. Cette entrée, comme dans la majorité des cabanes de Nages, est située en direction du sud. Les dimensions extérieures de la cabane sont de 5,6 m de longueur pour 5 m de largeur (mur compris) et 2,7 m de hauteur. Les deux particularités de cette cabane sont les six ouvertures permettant de voir et de tirer tout autour de la cabane et la présence d'un mur qui dissimule l'entrée et qui est lui aussi pourvu de trois fenêtres de tir. On peut comparer cette construction avec la cabane à sept meurtrières construite vers 1900 à Villes-sur-Auzon (Allègre, 1977). La construction des ouvertures de tir est contemporaine de la construction de la cabane et du mur. La surface intérieure d'environ 3,2 m2 et la hauteur maximale de 2,20 m permettaient à plusieurs personnes de tirer simultanément. La remise en état de cette cabane a été menée à bien par l’association «Nages, garrigues et pierre sèche » au printemps 2000 et a nécessité 25 heures de travail.

1.2. Le "mazet" (figure 3)

Cette structure en "u", appuyée au mur de délimitation des parcelles, pourrait être une amorce de "mazet" à pierre sèche, en effet les murs ne présentent pas de départ de voûte même à 1,50 m (à Nages, le départ de voûte se situe généralement entre 50 cm et 1 m). De plus, plusieurs blocs en calcaire coquilliers provenant des carrières situées à une dizaine de kilomètres (Junas ou Aubais) ont été découverts dans cette construction. Ce calcaire n'a jamais était utilisé dans les cabanes à Nages mais il est toujours utilisé pour la construction des pieds droits des portes et fenêtres des "mazets" des garrigues. L'absence de restes de tuiles tend à montrer que cette structure correspondrait à un "mazet" en construction. Les deux ouvertures pratiquées dans le mur nord semblent être contemporaines de la construction.

2. Les pièges

2.1. Les pièges à perdreaux (figure 4)

De ces pièges il ne reste que le bâti en pierre de dimensions 90 x 90 cm pour une hauteur d'environ 50 cm. Ils occupent environ la moitié de la largeur totale du mur, et l'ouverture latérale est du coté de la parcelle amont. Ils sont situés sur le même mur et ont été construits en même temps que le mur. Le quatrième côté du piège était fermé par une pierre verticale mobile. La fonction de ces structures n'a été résolue qu'après avoir vu la reconstitution d'un de ces pièges effectuée par le musée des vallées cévenoles (Saint-Jean-du-Gard). La partie supérieure du piège (disparue dans notre cas) était constituée de deux planches mobiles fixées sur un cadre, ces deux planches s'ouvrant vers le centre et le bas sous le poids des oiseaux. On peut penser que ces sont les perdreaux qui étaient chassés avec ce piège (comme dans le cas des Cévennes), en effet ces oiseaux ont l'habitude de pièter (course au sol ou sur les murs de clôture) plutôt que de s'envoler lorsqu'ils sont dérangés.

2.2. La garenne (figure 5)

Elle est construite dans le fond d'une cabane (No 15 du recensement communal). Elle se trouve à l'angle d'une terrasse avec l'ouverture dans la parcelle inférieure et orientée au sud. Dans le fond de cette cabane on remarque une ouverture construite à la base du mur (dimension 50 x 20 cm et plus de 3 m de profondeur). Cette ouverture est construite en pierre sèche sur les premiers 50 cm alors qu'elle est ensuite creusée dans le rocher et que sa largeur diminue. Ce boyau horizontal communique avec deux puits verticaux dont les accès se trouvent dans la parcelle supérieure, respectivement à 30 cm et 2,30 m du mur soutenant le toit de la cabane. Ces puits ne paraissent pas être construits mais seraient plutôt un élargissement de failles naturelles. Leurs ouvertures sont d'environ 15 cm de diamètre et étaient protégées par une grande pierre. On peut penser que cette garenne est une extension d'une garenne naturelle. Il semble qu'elle était utilisée pour chasser le lapin au furet, celui-ci était introduit dans un des deux puits verticaux alors qu'une poche avec un filet était tendue devant la sortie du boyau horizontal dans la cabane.

3. Les caches

Plusieurs caches ont été construites dans le mur de soutènement de la terrasse et ont une ouverture d'environ 50 x 20 cm, mais sont profondes de plus de 1 m. Leur construction semble être contemporaine de celle du mur. La seule que nous ayons retrouvée fermée contenait un fer de houe pointue utilisée pour le travail de l'olivier. En dehors de cette fonction de cache à outils, il semble que ces cavités pouvaient contenir les fusils, le gibier et les pièges métalliques des braconniers.

Structures et fonctions des aménagements

La cabane et le mur ont des axes de tirs multiples. À l'époque où les parcelles étaient cultivées, ces zones de tir couvraient une grande surface (quelques milliers de mètres carrés) et il n'y a aucun mur dans les axes de tirs. Ces postes de tir ont été construits en même temps que les cabanes et les accès se faisaient par des sentiers en dehors des axes de tir. Les pièges étaient liés au braconnage hors période de chasse, ils pouvaient être tendus par les agriculteurs à la fin de leur journée de travail et relevés le lendemain matin. Le gibier piégé, les pièges à palette et les furets pouvaient passer la journée dans une des caches.

Utilisation passée de la Combe des Moles et datation des structures

On a montré que la construction des cabanes en pierre sèche de Nages datait du XIXe siècle. Cette datation a été obtenue par l'étude des dates gravées dans les cabanes, l'examen des restes (morceaux de poterie et objets divers mis à jour lors des reconstructions) et l'étude de la bibliographie sur le sujet. Dans les cabanes de la Combe de Moles les dates relevées sont comprises entre 1850 et 1890.

Les utilisateurs de ce milieu ont tiré profit de leurs différentes constructions pour mettre en place des structures liées à la chasse ou braconnage. On doit remarquer que l'utilisation à des fins de chasse et de braconnage était prévue dès le départ de la construction. On peut penser que les postes de tir étaient utilisés pendant les périodes de chasse autorisées alors que les pièges étaient réservés au braconnage.

Actuellement, le seul usage des cabanes à pierre sèche par les chasseurs a été, après destruction de la voûte, comme poste de tir pour la passée aux oiseaux. Cette dégradation aboutit le plus souvent à la disparition des cabanes comme à Villes-sur-Auzon (Allègre, 1977).

Autres exemples d’utilisation de constructions en pierre sèche par les chasseurs

Le piège le plus simple utilisant la pierre sèche est appelé "tende", il est constitué d'une pierre plate posée en équilibre sur plusieurs bûchettes et sous laquelle on disposait des grains. Pour atteindre ces grains, l’oiseau touchait une ou plusieurs buchettes, la pierre tombait et écrasait l'oiseau.

D'autres types de pièges à pierre sèche ont été décrits dans les Cévennes dont une "fosse à loup" ou "laupio" ménagée jusqu'en 1880 dans les étroits passages des cols permettant d'accéder aux pâturages des causses depuis les forêts des Cévennes où se maintenaient les loups. Cette fosse avait une paroi en pierre sèche (Durand-Tullou, 1980).

Cet auteur décrit également des "clapasses"-appeaux, petits pierriers parementés érigés par des "issartiers" ou des braconniers caussenards et comportant à leur sommet plat une cuvette où était fixé un perdreau comme appeau. Le chasseur se dissimulait soit dans une cabane proche, soit dans un affût en branchages, soit encore en arrière d'un autre "clapàs".

Il existe dans l’Aude, à Félines-Minervois, "un type de capitelles particulières, les garennes, la porte est basse, les murs sont percés de trous, ce sont des pièges à lapins, de véritables garde-manger. Le lapin entre par une petite galerie, passe sur la trappe basculante et reste prisonnier de la garenne jusqu'à ce que le propriétaire vienne le chercher. C'est une technique de piégeage astucieuse, ne demandant, à l'époque où elle était autorisée, que peu d'efforts. Le propriétaire envoyait son chien pour égorger les lapins"; citation de D. Bichet (site internet www.ifrance.com/felines-minervois).

Dans la région de Valence en Espagne, deux types de structures en pierre sèche associées à la chasse au filet ont été décrites (Garcia Lison et Zaragoza Catalan, 1991). Un premier type se compose d’une petite baraque de pierre sèche qui abrite le chasseur. Celui-ci, dissimulé dans la cabane, a disposé un filet à deux pans sur le sol, il en commandera la fermeture lorsque les oiseaux se seront rassemblés en son centre, attirés par un abreuvoir et par des appeaux vivants.

Le second type de structure se compose d’un muret de pierre sèche qui entoure un gros arbre (caroubier ou olivier) et qui correspond au diamètre maximal de la couronne de l’arbre. Ce muret supporte une série de perches soutenant un réseau de filets. Dans le muret des ouvertures et une cabane sont construits, ils permettent l’accès et la dissimulation du chasseur. Les oiseaux sont attirés dans l’arbre par des appeaux vivants, ils sont piégés par les filets et par la glu dont sont enduites certaines branches de l’arbre.

L’auteur remercie l’ensemble des membres de l’association pour leur aide à toutes les étapes de ce travail et Christian Lassure pour ses informations concernant les différents types de constructions à pierre sèche liées à la chasse.

Bibliographie

Allègre M. (1977) Contribution à l'étude des "bories" de Vaucluse. Commune de Villes-sur-Auzon. L'architecture rurale en pierre sèche. Tome I pp: 69-85 + 3 fig. h. t..

Durand-Tullou A. (1980) Les constructions à pierre sèche des causses de Blandas et de Campestre (Gard). L'architecture vernaculaire rurale. Tome IV pp: 34-84.

Garcia Lison M. et Zaragoza Catalan A. (1991) L'architecture rurale en pierre sèche du pays valencien (2e partie : 3/ les abris ruraux; 4/ les postes de chasse; 5/ les constructions pour les troupeaux. L'architecture vernaculaire. Tome XV pp: 5-24.

Ourcival J.-M. (1995) Relations entre l’environnement actuel des cabanes et leurs destinations passées : le cas de Nages et Solorgues (Gard). Actes des journées d'étude "Le point sur la problématique des bocages lithiques". Ministère de l'Environnement, Sous-direction de l'Aménagement et des Paysages. Paris, Septembre 1994.

Ourcival J.-M. (1998) Relations entre l'environnement actuel des cabanes et leurs destinations passées : cas de la commune de Nages et Solorgues (Gard). L'architecture vernaculaire. Tome XXI pp: 77-86.

Ourcival J.-M. et Abrial C. (1998) Aménagements de petite hydraulique en pierre sèche dans la Combe des Moles (commune de Nages et Solorgues, Gard, France). 7e congrès mondial de la pierre sèche Carcès et Le Val, Var. Septembre 1998. pp: 87-93. Suppl. n° 8 au cahier de l'ASER du Centre-Var.

Ourcival J.-M (1999) Bilan de cinq ans de réhabilitation des constructions en pierre sèche à Nages et Solorgues (Gard). Actes de la journée d'étude de Blauzac (Gard) le 27/11/97. L'architecture vernaculaire. Tome XXIII pp: 73-77.

(*) Jean-Marc Ourcival, Association "Nages, garrigues et pierre sèche", 57 bis, rue basse - 30114 Nages et Solorgues


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© Jean-Marc Ourcival - CERAV
18 novembre 2002 / November 18th, 2002

Référence à citer / To be referenced as :
Jean-Marc Ourcival, Chasse, braconnage et pierre sèche à Nages et Solorgues (Gard) (Shooting, poaching and dry stone structures at Nages and Solorgues, Gard)
http://www.pierreseche.com/chasse_et_pierre_seche.htm
18 novembre 2002

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