L’ARCHITECTURE VERNACULAIRE DU BÉARN ET DE LA BIGORRE AU XIXe SIÈCLE

Christian Lassure

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L'ancienne province du Béarn (ville principale : Pau) correspond approximativement aux deux tiers est du département des Pyrénées-Atlantiques, le tiers ouest étant occupé par le Pays Basque français. Le département limitrophe à l'est – les Hautes-Pyrénées (ville principale : Tarbes) – épouse plus ou moins les contours de l'ancienne province de la Bigorre.

Entre la montagne pyrénéenne au sud et la Gascogne au nord, Béarn et Bigorre alternent collines et vallées offrant de riches terroirs où se sont développés polyculture céréalière et élevage. Si dans les plaines l'habitat est groupé en villages, sur les plateaux il est dispersé.

Dans ce bas-pays béarno-bigourdan, le centre de l'exploitation rurale était la ferme à cour fermée. Celle-ci comprend une maison d'habitation (oustaü), aux murs de moellons ou de galets, édifiée sur un plan rectangulaire et sur un ou deux niveaux. Sa façade est disposée en gouttereau sous un toit pentu à deux versants et à deux croupes (pente : 55°). Cette façade, qui regarde au sud, au sud-est ou à l'est selon le cas, est disposée perpendiculairement à la rue et donne sur une cour fermée (parquié). Sur les 2e et 3e côtés de cette dernière, s'ordonnent les bâtiments d'exploitation (grange, étable, cellier, poulailler, porcherie), tandis que le 4e côté est formé par un mur percé d'un portail monumental (pourtaü).

Environs de Salies-de-Béarn (Pyrénées-Atlantiques) : façade d'une ferme dans la première décennie du XXe siècle (une autre édition lui donne un nom : la ferme du Camou).

Les bâtiments sont vraisembablement de la 2e moitié du XVIIIe siècle si l'on en juge d'après l'arc segmentaire coiffant les baies du rez-de-chaussée et la lucarne.

Le corps de logis, à la façade en gouttereau sous un toit à forte pente en tuiles plates à crochet, est de plan bipartite. Il comporte à droite une cuisine au rez-de-chaussée et une chambre à l'étage, à gauche une grange-étable avec sa porte charretière en anse de panier sous une lucarne d'accès au grenier à fourrage.

Contre le pignon, est adossé un appentis couvert en tuiles canal, abritant la fournière (souche de cheminée) et la loge à porcs, cette dernière surmontée d'un poulailler à claire-voie (échelle d'accès).

L'entrée de la pièce d'habitation est surhaussée par un perron de trois marches et accotée d'une fenêtre à petits carreaux avec volet extérieur en bois plein.

Cette façade est remarquable par la présence de trois pieds de vigne grimpante se répandant sur un treillage en forme d'échelle horizontale.

Un char chargé de fourrage ou de fumier est en attente. La fermière conduit les bêtes à la pâture.

Le corps de logis semble être surmonté d'un toit à 2 croupes (seule celle de gauche est visible).

Les maisons des fermes les plus riches sont conformes au modèle bourgeois ou urbain des XVIIIe et XIXe siècles : façade à deux niveaux, à ordonnance symétrique, plan à distribution axiale ; toiture monumentale percée de lucarnes et couverte de tuiles plates à crochet ou d'ardoises. Ce type de maison est lié à l'essor de l'économie rurale (et en particulier à l'extension de la culture du maïs) et au consécutif enrichissement des catégories supérieures de la paysannerie.

À un niveau social inférieur, on trouve une maison d'habitation n'ayant qu'un rez-de-chaussée sous un grenier et obéissant à un plan différent (salle commune et chambre y sont juxtaposées en longueur.) C'était le logis du petit exploitant, du métayer, de l'artisan. On en voit de nombreux exemplaires dans la plaine de Tarbes et dans la région des Baronnies (Hautes-Pyrénées). L'entrée, ménagée en gouttereau, ouvre directement dans une salle commune ou cuisine (cousine), qui elle-même commande l'accès à une chambre plus petite (crambe), dont elle est séparée par une simple cloison. En imitation de la maison bourgeoise, ce plan en « longère » a parfois été remanié en plan à distribution axiale à partir d'un couloir central.

Le bas de l'échelle sociale était occupé par la maison à pièce unique (maysou) du journalier dépendant d'une grosse exploitation.

Le type de maison imité de la bourgeoisie urbaine et inspiré de l'architecture classique a en fait remplacé, à partir du XVIIIe siècle, un type également d'origine urbaine mais d'époque médiévale : la « longère » à façade en pignon, avec cuisine et chambre en enfilade au rez-de-chaussée, grenier à l'étage en arrière d'un pan de bois encorbellé, bâtière aiguë couverte de chaume ou de tuiles de bois. Quelques spécimens en subsistent en Béarn dans le Vic Bilh et à Oloron-Sainte-Marie.

Vers Orthez et Salies-de-Béarn, les bourgeois de ces villes ont fait construire, aux XVIIIe et XIXe siècles, des métairies remarquables, formées par l'adjonction – de part et d'autre de la nef d'une grange-remise à entrée en pignon – de deux appentis, l'un à usage d'habitation, l'autre à usage d'étable. Le résultat est une maison à nef et bas-côtés, évoquant les métairies à plan tripartite de l'Aquitaine voisine. Le pittoresque de ces édifices vient du contraste entre le toit central pentu à tuiles plates, abritant un grenier, et les toitures latérales à faible pente, à tuiles canal, des bas-côtés. Dans certaines métairies, un seul bas-côté est venu s'accoler à la grange-remise, l'étable étant absente.

Salies-de-Béarn (Pyrénées-Atlantiques) : maison au plan tripartite d'un type rencontré vers Orthez et Salies-de-Béarn (carte postale des années 1950-1960, du temps ou les Pyrénées-Atlantiques étaient encore les Basses-Pyrénées).

De part et d'autre d'une grange-remise à entrée en pignon (cf. l'arc en plein cintre) et à toiture en tuiles plates, sont venus s'adjoindre, contre les murs goutterots, deux appentis à couverture de tuiles creuses, celui de gauche à usage d'habitation (cf. la cheminée), celui de droite à usage d'étable. Cette morphologie particulière a valu – récemment – à ce type de métairie le qualificatif de clouque, c'est-à-dire « poule couveuse » en béarnais francisé, analogie dont la littérature touristique s'est avidement emparée.

Il n'y a pas lieu ici de parler d'influence méditerranéene pour les tuiles creuses : c'était le matériau qui convenait à la pente des appentis.

Il n'y a pas lieu non plus de parler d'influence basque pour le plan tripartite : il est la seule possibilité d'extension d'une grange en forme de nef à façade en pignon.

Dans les hautes vallées pyrénéennes, tournées vers l'élevage sur les pâturages d'estive indivis et où la vie pastorale collective était réglée par les communautés « valléennes » (besiaux), l'habitat est regroupé en villages et la ferme à cour fermée tend à disparaître. Les types de maisons du bas-pays sont concurrencés par des maisons de montagne, de plan allongé, associant, sous un même toit, locaux d'habitation et locaux d'exploitation. Construites en dur, elles ont leur façade en gouttereau sous un toit pentu en bâtière, couvert à l'origine en chaume, puis en ardoises.

Par ailleurs, des bâtiments à double fonction d'étable (à ovins ou à bovins) et de fenil – les bordes – sont disposés à quelque distance des villages, dans les prairies fourragères de fauche. Ils servaient, pendant l'hiver, à abriter et à nourrir les troupeaux descendus des estives.

Dans les hautes vallées d'Aspe, d'Ossau et d'Ouzon (Pyrénées-Atlantiques), la maison de montagne est du type salle haute : elle superpose étable au rez-de-chaussée et habitation à l'étage (estadge) (les combles abritant le fenil). L'accès à l'étage se fait par un escalier intérieur débouchant en gouttereau par une porte distincte de celle de l'étable. Le four, construit en appentis contre un des pignons, s'ouvre dans la cheminée de la salle commune. Les plus vieilles de ces maisons remontent au XVIIe siècle : elles ont leur façade en pignon et une porte unique au rez-de-chaussée pour les gens, les bêtes et le matériel. La maison à étage d'habitation se rencontre également dans les vallées d'Arrens et d'Estaing et dans la Batsuriguère (sud-ouest des Hautes-Pyrénées), principalement dans les zones de conditions climatiques difficiles. La couverture de chaume y a subsisté jusqu'au XXe siècle, accompagnée de pignons débordants à redans (pènaus).

Chaume et redans s'observent encore, dans la vallée de Campan, sur des granges-étables temporaires transformées au XIXe siècle en fermes permanentes par des cadets de famille, soit par adjonction, contre un pignon, d'une pièce unique (caouhadé ou chauffoir), soit par l'aménagement d'une pièce d'habitation dans la grange-étable même, une simple cloison en bois séparant les humains des bovins, l'entrée des gens étant en pignon, celle des bêtes en gouttereau.

Dans les pâturages d'estive des hautes vallées béarno-bigourdanes, les bergers construisaient des cabanes en pierre sèche (capane) de plan rectangulaire et à bâtière surbaissée de dalles de schiste ou de mottes de gazon sur pannes et chevrons. Placées au milieu d'un enclos en pierre sèche (coueila, cuyala) où les moutons passaient la nuit, elles sont aujourd'hui en ruine.

BIBLIOGRAPHIE

BUISAN, Georges, 1989, Un type de maison élémentaire en vallée de Campan, in Revue de Comminges, tome 102 (Saint-Gaudens : Société des Études du Comminges)

CAZAURANG, Jean-Jacques, LOUBERGÉ, Jean, 1978, Maisons béarnaises (I) (Pau : Musée Béarnais)

CAZAURANG, Jean-Jacques, 1979, Maisons béarnaises (II) (Pau: Musée Béarnais)

LASSURE, Christian, 1981, Y a-t-il des "maisons-halle" en Béarn ?, in L'Architecture Vernaculaire, tome 5, p. 65 (Paris : CERAV)

LOUBERGÉ, Jean, 1982, Les anciennes maisons rurales des pays de l'Adour (Pau : Imprimerie Moderne)

MAGOT, Jean, et al., 1970, Les maisons paysannes de Bigorre, in Maisons Paysannes de France, No 5 (Paris : MPF)

PÉRÉ, André, 1979, Les cabanes en pierres sèches des hautes vallées des Nestes (Aure et Louron) (Pyrénées centrales), in L'Architecture Rurale, tome 3, pp. 62-67 (Paris : CERAR)


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Le 9 septembre 2006 - Complété le 28 décembre 2006 - le 9 janvier 2008

Référence à citer :

Christian Lassure
L'architecture vernaculaire du Béarn et de la Bigorre au XIXe siècle
http://www.pierreseche.com/bearn-bigorre_fr.htm
9 septembre 2006

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