L'ARCHITECTURE VERNACULAIRE

     
ISSN 2494-2413

TOME 38-39

2014-2015

André Pierre Fulconis

CABANES ET CLAPIERS EN PROVENCE *

 

Résumé

Extrait du livre d’André Pierre Fulconis, Dictionnaire illustré du village de Provence - Saint Martin de Castillon – Luberon la Montagne, paru en 2013, ce texte rappelle l'origine et la genèse des clapiers agricoles du plateau de Claparèdes en Vaucluse et des cabanes en pierre sèche à usage d'habitation saisonnière qui s'y trouvent. L'auteur souligne d'une part les recherches terminologiques menées par Christian Lassure pour rétablir le nom authentique de la cabane de pierre sèche en Provence et d'autre part sa mise en évidence d'un «âge d'or» de l'architecture de pierre sèche au XIXe siècle.

Abstract

The article is an excerpt from André Pierre Fulconis's Dictionnaire illustré du village de Provence - Saint Martin de Castillon – Luberon la Montagne, published in 2013. It recalls the origin and formation of the agricultural clearance stone heaps and seasonal dry stone huts found on the plateau des Claparèdes, Vaucluse. The author stresses on the one hand the lexical investigations conducted by Chritian Lassure with a view to restoring the genuine name of the Provençal dry stone hut, and on the other his revealing the existence of a "golden age" of dry stone  architecture in the 19th century.



Remerville [1] écrit en 1690 que de son temps l’emplacement des maisons sur le plateau de Claparèdes entre Saignon et Bonnieux tient plus de place que celui des terres. C’était confondre les clapiers accumulés par les agriculteurs, depuis les premiers d’entre eux aux temps préhistoriques, avec des ruines rêvées de cabano pounchudo en pierres sèches. Cette interprétation fut jusqu’au 20e siècle celle de ses successeurs qui attribuèrent à ces constructions des origines, des utilisations, des bâtisseurs (préhistoriques ou celto-ligures !) et des dates de construction mythiques. Ces affabulations ont été démontées par les travaux de l’ethno-historien Christian Lassure [2], qui a établi la date d’édification relativement récente de ces cabanons pointus, dont le plus grand nombre ici remonte au 19e siècle, une faible quantité au siècle précédent et peut-être quelques-uns au 17e siècle, encore que l’on doive se méfier de certaines dates gravées sur des linteaux qui peuvent être, comme ce fut le cas de tous temps, des pierres réemployées.

Carte postale en noir et blanc des annnées 1950 figurant un « cabanon pointu ». Légende au verso : V. 76804 – PAYSAGE DU LUBERON / BORRY aux environs d’APT (Vaucluse). Éditeur : Les Editions J. CELLARD / 13, rue de l’Economie – BRON (Rhône).

Le snobisme 20e siècle a baptisé du nom impropre de bories ces cabanes en pierre sèche qui parsèment les terres, en les affublant de ce nom qui n’a jamais été le leur. En provençal le terme de bòri veut dire « masure, cahute » [F. Mistral, Trésor du Félibrige], exceptionnellement grange ou ferme ; le mot étant d’ailleurs complètement ignoré par Avril dans son dictionnaire aptésien du début 19e. C. Lassure, qui a répertorié tous les noms donnés dans les différents terroirs, a démontré au cours de ses recherches l’inadéquation ridicule du terme et du mythe, et a mis un point final sur le sujet, mais seuls les scientifiques le suivent ; la vulgarisation commerciale folklo-touristique ayant généralisé le terme de borie.

À Saint-Martin-de-Castillon seule la dénomination de « cabane » est employée : on dit « la cabane du Loup », « la cabane d’Orsini » ; comme on dit d’ailleurs la « cabane » de charbonnier, qui a presque la même forme, la carbouniero, cette masse de bois fumant mais non brûlant, veillée jour et nuit, qui donnera le charbon de bois. Marcel Roux (né en 1904) a employé spontanément le terme de cabano pounchudo, cabane pointue, quand je lui ai demandé en 1970 le nom de cette construction. Un siècle avant, en 1862, Arnaud [C. Arnaud, Capitaine J. Barbeyrac, razzia en 1589] parle bien en effet de cabanon pointu qu’il définit comme une « espèce de construction, en pierres sèches, sans bois, ayant la forme d’une poivrière ».

L’édification des cabanes de pierres sèches est un moyen des plus ingénieux d’utiliser avec efficacité la masse considérable de pierres issues du défrichement que poursuivent avec opiniâtreté les générations de paysans ; ceci sans avoir à beaucoup les déplacer et en en agençant le plus grand nombre. Les amoncellements de ce type ou ceux en forme de murailles ou d’enclos, les murs innombrables qui soutiennent la moindre parcelle de terre ou les longs banquets des terrains en pente, murs qu’il fallait entretenir constamment et en partie relever après chaque orage, témoignent de l’ancestrale patience de ces hommes et de ces femmes qui portèrent ces pierres une à une. Murs, enclos, clapiers, cabanes, autant de monuments de roc du silence et du courage édifiés par des générations d’hommes libres, relayés aujourd’hui par ceux qui défrichent encore, remembrent et maintiennent les terres.

Ils forment le « conservatoire en plein air des techniques de construction à sec élaborées et perfectionnées par de petits propriétaires ruraux et urbains, principalement lors du siècle d’or de l’architecture de pierre sèche. Depuis les défrichements encouragés par les édits royaux à la fin de l’Ancien Régime jusqu’à la création de vignobles commerciaux sous le Second Empire en passant par le lotissement des communaux villageois après la Révolution, la création de champs et de cabanes alla bon train, poussée par la faim de terre liée à une démographie galopante ainsi que les débouchés procurés par l’amélioration des voies de communication. Des techniques de couvrement, empruntées aux architectures savantes, furent librement adaptées à la création d’un outil de production et d’un habitat saisonnier par ces nouveaux défricheurs-bâtisseurs, brusquement confrontés aux énormes masses de pierre livrées par la barre à mine : ainsi l’omniprésente voûte d’encorbellement, ingénieusement combinée à l’inclinaison des corbeaux vers l’extérieur, les déclinaisons rustiques de la voûte et de l’arc clavés ; les subtils systèmes de décharge au-dessus des entrées. Des murs sans une once de mortier, mais aux pierres agencées avec soin de façon à supporter des voûtes de plusieurs dizaines de tonnes, furent mis au point dans le même temps [C. Lassure, La pierre sèche, mode d’emploi] ».

À partir du 4e quart du 19e siècle, le mouvement de construction commença à décliner avec le début de l’exode rural, résultant de l’appel de main-d’œuvre de l’industrialisation et surtout, ici, de l’appauvrissement dû aux maladies de la vigne, de l’effacement de la sériciculture et de la disparition de la culture de la garance. La guerre de 14, signant la fin de la civilisation rurale, marqua aussi celles de ces constructions emblématiques qui nécessitaient des hommes, et singulièrement de ce temps que les quelques survivants devaient réserver à des tâches plus vitales.

Le comte de Gasparin [3], en bon Provençal, consacre un chapitre de son Cours d'agriculture à la soustraction de matériaux nuisibles au sol : « Quand le sol se trouve composé en grande partie de graviers et de cailloux [ce qui est le cas de la quasi-totalité du terroir sant martinen], une partie de sa surface se trouve soustraite à la végétation, et la chaleur du terrain s’en trouve fortement augmentée, ainsi que sa sécheresse. Il ne convient pas toujours d’en débarrasser le sol. Il faut examiner avant tout si la ténacité et l’humidité du terrain n’en seront pas trop fortement augmentées, s’il n’a pas besoin de cet excédent de chaleur dont on le priverait. Quand on se trouve dans un climat chaud et sec, l’épierrement offre des avantages qu’il est loin de présenter dans un climat qui a des qualités opposées. En Languedoc et en Provence, on voit un grand nombre de terres environnées d’immenses clapiers produits de l’épierrement du reste du champ ; on reconnaît ainsi d’anciennes cultures maintenant abandonnées, et qui remontent à des temps fort reculés, peut-être jusqu’à la domination romaine. Quand la nature de ces pierres est propre à la confection des routes, qu’on se trouve dans le voisinage des grandes communications, on s’en débarrasse facilement, et l’on n’encombre pas une partie de la surface du terrain, autrement on en construit des murs en pierre sèche pour abriter et garantir le champ. Les travaux d’épierrement se font en hiver, et l’on y emploie les femmes et les enfants. Les champs ainsi épierrés et mis à l’abri des vents par les abris que l’on construit, sont surtout propres à la culture de l’olivier et c’est depuis la diminution de cette culture que l’épierrement est devenu moins fréquent, et que ces terrains secs et peu profonds ont perdu de leur valeur. Quand le sous-sol est formé de rochers friables, on y fait aussi des fouilles pour le briser et approfondir le sol, et on y plante des arbres et surtout des mûriers ».

On a répertorié 48 cabanes dans la commune de Saint-Martin-de-Castillon, dont une protégeant une citerne et deux des puits.

* Extrait du livre d’André Pierre Fulconis, Dictionnaire illustré du village de Provence - Saint Martin de Castillon – Luberon la Montagne, in quarto, 1000 illustrations, paru en 2013 (www.fulconis.com).

NOTES

[1] François Joseph de Remerville (né le 4 avril 1653 à Saignon, mort à Apt le 4 juillet 1730). […]. Il est l’auteur, autour des années 1690, des 8 livres manuscrits de l’Histoire de la ville d’Apt contenant tout ce qu’il s’y est passé de plus mémorable dans son état politique depuis sa fondation jusques au règne de Louis le Grand, Roy de France, comte de Provence […], reliés en 4 volumes déposés à la bibliothèque Mazarine.

[2] Voir le site internet www.pierreseche.com, et les quelque 30 000 références Google… Parmi les nombreuses publications de Christian Lassure, les livres Cabanes en pierre sèche de France (Edisud, 2004) et La pierre sèche, mode d’emploi (Eyrolles, 2008).

[3] Adrien Étienne Pierre de Gasparin (né à Orange le 29 juin 1783, mort dans la même ville le 7 septembre 1862). Agronome, il est l'auteur d'un Cours d'agriculture (Paris, au bureau de la Maison rustique, 1843-1848, 6 vol.).


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© André Pierre Fulconis - CERAV


Référence à citer / To be referenced as :

André Pierre Fulconis

Cabanes et clapiers en Provence (Dry stone huts and clearance stone heaps in Provence)

L'architecture vernaculaire, tome 38-39 (2014-2015)

http://www.pierreseche.com/AV_2014_fulconis.htm

21 janvier 2014

L'auteur :

André Pierre Fulconis, spécialiste de l'histoire de Saint-Martin-de-Castillon (Vaucluse), auteur de
-
(en collaboration avec Christian Lassure)
Bibliographie de l'architecture vernaculaire rurale et urbaine de la Provence (L'Architecture vernaculaire, tome 11, 1987),
- Louis Guillaume Fulconis (1818-1873), Statuaire, Une vie d'amitié
(2005),
- Dictionnaire illustré du village de Provence - Saint Martin de Castillon – Luberon la Montagne (2013).

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