Compte rendu de : Jean Loubergé, Réflexions sur l’évolution des maisons rurales en Béarn depuis le XVIIe siècle, dans Géographie historique du village et de la maison rurale, Actes du Colloque tenu à Bazas les 19-22 octobre 1978, éd. du C.N.R.S., Paris, 1980, pp. 169-178

Parution initiale dans L’Architecture vernaculaire, tome V, 1981

L’année 1978 a été marquée, pour ce qui est des publications d’architecture rurale, par une production alliant une affligeante pauvreté scientifique à une consternante prétention intellectuelle. II suffit, pour s’en convaincre, de parcourir les titres de la bibliographie : il n’y est question que de « la maison traditionnelle » de telle ou telle région, des « maisons paysannes » de tel ou tel « petit pays », etc.; on a droit également à l’« introduction des données ethnologiques » dans l’étude architecturale de tel terroir, aux « observations et réflexions éco-ethnologiques » sur les maisons de telle province, aux « symboles et pratiques rituelles » des tribus paysannes, etc. (1).

Il est dommage qu’il ait fallu attendre deux ans pour que le texte oh combien pertinent et enrichissant de M. Jean Loubergé, professeur agrégé honoraire, vienne relever le niveau bien bas de cette décevante année.

La présence du terme « évolution » dans le titre est déjà en soi un élément qui, a priori, démarque radicalement cet article du gros contingent de la bibliographie de 1978, et qui promet un contenu hors des sentiers « traditionnels ». Effectivement, le lecteur n’est pas déçu.

Prenant pour cadre géographique de son étude « les Pays de l’Adour » (Pays Basque, Béarn, Bigorre, Chalosse, bas Armagnac, Marsan), l’auteur tente d’apporter des éléments d’explication à la présence de « deux familles de maisons paysannes », d’une part « les maisons qui ont la façade sous le pignon du toit et sont ordonnées en profondeur » (« maison basque », « maison landaise »), d‘autre part « les maisons qui ont la façade sous la pente du toit et sont ordonnées en largeur » (« maison béarnaise », « maison bigourdane »), les unes et les autres se différenciant également par les matériaux (pierres ou cailloux roulés pris dans du mortier, toits d’ardoises, de tuiles plates des dernières, par opposition au torchis et à la tuile-canal des premières – et à la charpente, oubliée à ce qu’il semble).

À partir de documents d’archives (un état général des maisons de Gan, près de Pau, en 1693), M. Jean Loubergé démontre que la plupart des maisons du bas pays béarnais étaient, avant 1700, construites en bois ou en terre, avec couverture de chaume ou de bardeaux, et que c’est à. partir du XVIIIe siècle que les maisons furent construites en dur, avec couverture d’ardoises ou de tuiles plates. Qui plus est, faisant appel aux papiers inédits d’un instituteur de la fin du XIXe siècle d’une part, à des sondages dans les registres notariaux des XVIIe et XVIIIe siècles d’autre part, l’auteur met en lumière qu’antérieurement aux façades symétriques en largeur, sous la pente du toit, du XVIIIe, les maisons avaient leur façade en pignon et étaient ordonnées en profondeur : nombre d’actes testamentaires du XVIIIe font mention de « chambre du milieu » ou « chambre de derrière »; un inventaire de biens de 1614 décrit une maison comportant un auvent suivi d’une pièce et d’une « chambre de derrière ».

Les recherches sur le terrain viennent conforter les investigations des archives. Des spécimens de maisons de ce type se rencontrent en particulier dans le nord-est du Béarn, dans la région appelée Vic-Bilh. L’auteur donne la photo et le plan sommaire de l’une d’elles, la Maison Lamarque à Vialer, bâtie en terre, avec l’entrée et une petite fenêtre en pignon, la cuisine précédant la chambre. Une maison semblable, à Arros-Nay, est datée de 1627.

La dernière partie de l’article comporte une analyse des causes du remplacement, au XVIIIe, de ce type de maison par le type d’inspiration « classique ». L’auteur signale, à .juste titre, « l’élévation du niveau de vie » comme cause essentielle de cette période de reconstruction (il n’en va pas autrement à notre époque, soit dit en passant), à côté de l’apparition de nouveaux besoins économiques et du développement démographique. L’effet d’entraînement de la mode est noté : à l‘instar des rentiers du sol, bourgeois des villes et des bourgs, qui se font construire des métairies nouvelles à l’image de leurs maisons des villes, les riches paysans, mûs par la vanité, se font bâtir, par des artisans, des maisons en dur et à la mode. Le mouvement devait continuer au XIXe, touchant les petits paysans et même les salariés agricoles. En d’autres termes – et bien que M. Loubergé ne le dise pas explicitement – ce que certains appellent aujourd’hui les maisons « paysannes » du Béarn, ne seraient en fait que des maisons de type urbain, bourgeois… en milieu rural. La maison que le paysan aisé entre 1750 et 1850 voulait « bourgeoise », le citadin d’aujourd’hui l’imagine « paysanne » . On voit là le danger de promener sur le monde rural un regard empreint de romantisme comme le font trop de nos contemporains.

À l’opposé du Béarn (et de la Bigorre), le Pays Basque et le sud du département des Landes moins riches, n’ont connu cette évolution que dans le courant du XIXe siècle, gardant plus longtemps les habitations de type ancien, à façade sous pignon et abritant hommes, bêtes et récoltes sous leur vaste toit à deux versants. Au Pays Basque en particulier, avec la mise à la mode, vers le début du XXe siècle, du patrimoine du peuple basque, la maison « basque », l’« etche », se trouva valorisée par rapport à la maison de style « bourgeois », évitant ainsi d’être transformée en étable à côté d’une maison « moderne ». Pour dire les choses crûment – et nous le ferons à la place de M. Loubergé –, si la reconstruction avait suivi son cours normal, ce serait les maisons de style « classique » ou « bourgeois » qui seraient de nos jours qualifiées de « maisons basques traditionnelles ». On conçoit donc l’absurdité qu’il y a à parler de « traditionnel » dans un domaine qui, comme toutes les productions matérielles humaines, n’échappe pas à l’évolution, au changement. En fait, les observations de M. Loubergé ne sont pas sans rappeler l’opposition, fréquemment rencontrée dans l’« Enquête sur les conditions de l’habitation en France » de de Foville et Flach de 1889, entre « type ancien » et « type moderne », « ferme ancienne » et « ferme nouvelle », le premier semblant designer les maisons des XVIIe-XVIIIe, le second celles du XIXe qui les avaient remplacées.

Voilà donc deux points très importants (opposition entre maisons rurales du bas pays béarnais des XVIIIe-XIXe et celles des siècles antérieurs – différence d’évolution entre « maisons basques » et « maisons béarnaises ») expliqués de façon précise, convaincante, et avec une économie de moyens remarquable (4 pages et demi, 1 carte, 4 planches), qui tranche avec les ouvrages – aussi creux qu’ils sont volumineux – dont les éditeurs en architecture rurale sont coutumiers dans ce pays. Avec l’auteur, nous conclurons volontiers que « La maison rurale n’est pas uniquement un outil de travail comme on l’a cru un temps; il ne faut pas non plus la considérer uniquement comme un objet de folklore. En suivant ses transformations, on pourrait sans doute mieux cerner non seulement l’évolution économique d’une région, mais aussi celle des aspirations et des mentalités de la classe paysanne ».

NOTE

(1) Durant cette même année, les chercheurs d’outre-Manche publiaient des articles tels que : Datation par la dendrochronologie de deux bâtiments à « crucks », Recensement des « crucks » de l’Irlande du Nord, Un prix-fait de construction du XVe siècle dans le Suffolk, etc.


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Référence à citer / To be referenced as :

Christian Lassure
Jean Loubergé, Réflexions sur l’évolution des maisons rurales en Béarn depuis le XVIIe siècle, dans Géographie historique du village et de la maison rurale, Actes du Colloque tenu à Bazas les 19-22 octobre 1978, éd. du C.N.R.S., Paris, 1980, pp. 169-178
http://www.pierreseche.com/jean_louberge.htm

Parution initiale dans L’Architecture vernaculaire, tome V, 1981

 

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