LE GRAND MOUVEMENT DE CONSTRUCTION DE CABANES EN PIERRE SÈCHE

EN FRANCE AUX XVIIIe ET XIXe SIÈCLES

The Great Building Movement of Dry Stone Huts in France in the 18th and 19th Centuries

Christian Lassure

 

Version française du prologue en catalan de l'ouvrage
La pedra seca. Evolució, arquitectura i restauració paru en 2010 chez BRAU edicions à Figueres, Catalogne, Espagne

L’histoire économique de la France rurale aux XVIIIe et XIXe siècles a été marquée par deux phénomènes, d’une part l’extension des terres cultivées aux dépens des marges incultes des terroirs villageois, d’autre part l’accession à la propriété des couches les plus humbles de la paysannerie, les deux choses étant d’ailleurs liées.

À l’origine de ces phénomènes, les décisions administratives ou politiques que sont les défrichements encouragés par des édits royaux tout au long du XVIIIe siècle (avant la Révolution) et le partage des anciens communaux villageois dans la première moitié du XIXe siècle (après la Révolution), mais aussi la démographie galopante (entraînant une véritable « faim de terre » pendant les deux premiers tiers du XIXe siècle) et le progrès technique (l’amélioration des voies de communication procurant de nouveaux débouchés aux produits agricoles).

C’est dans ce contexte politique, social, économique et démographique qu’il faut replacer le mouvement de construction de champs et, par voie de conséquence, de murs et de cabanes en pierre sèche encore visibles aujourd’hui dans les deux tiers sud de la France.

Tirant parti de la démocratisation non seulement des outils d’extraction et de taille de la pierre mais aussi des instruments aratoires en fer et de la poudre à canon, les défricheurs, confrontés, aux énormes quantités de pierres engendrées par leurs activités de défonçage et de dérochement, construisirent ou firent construire, avec le matériau à leur disposition, de petites dépendances temporaires ou saisonnières en plein champ, fort utiles en particulier aux « forains » habitant une paroisse ou une commune éloignée de celle où se trouve leur parcelle.

LE « SIÈCLE D'OR » DE LA CONSTRUCTION À PIERRE SÈCHE

C’est ainsi que se répandirent et se perfectionnèrent les techniques et procédés de construction à sec :
- des murs porteurs capables de supporter des voûtements de plusieurs dizaines de tonnes ;
- des murs de soutènement en mesure de résister à la pression des terres d’une terrasse ;
- l’omniprésente voûte d’encorbellement, ingénieusement combinée à l’inclinaison des corbeaux vers l’extérieur ;
- la voûte clavée, plus rare car nécessitant des cintres en bois ;
- la couverture de lauses ou le revêtement de pierres sur l’extrados de la voûte ;
- les dispositifs variés de couvrement de l’entrée et de décharge du linteau, etc.

Ce grand mouvement de construction de champs, de murs et de cabanes a connu sa plus grande extension du dernier tiers du XVIIIe siècle au dernier tiers du XIXe, soit grosso modo un siècle, que l’on peut qualifier de « siècle d’or » de la construction à pierre sèche.

Les prémices de cet âge d’or remontent toutefois au XVIIe siècle dans les garrigues péri-urbaines du Languedoc, avec les ouvriers d’industrie (gantiers de Millau, faiseurs de bas d’Uzès, tapissiers de Nîmes) se construisant une capitelle ou une tine (cuve couverte) dans leur nouvel enclos.

Le déclin du grand mouvement de construction s’amorce vers 1880 avec le début de l’exode rural et les maladies de la vigne, pour s’arrêter après l’hécatombe de la première guerre mondiale, dans des campagnes vidées de leur jeune population mâle.

LES AUTO-CONSTRUCTEURS

Le propriétaire d’une parcelle de vigne est le bâtisseur à pierre sèche par excellence : il bâtit lui-même son abri ou sa remise-à-outils. Au XIXe siècle, le vigneron du Berry édifie sa loge, le vigneron du Velay bâtit sa tsabone, le vigneron du Quercy érige sa caselle.

Autres grands constructeurs à pierre sèche, les manouvriers, engagés dans des travaux de défrichement par de gros propriétaires viticoles. Ainsi, sous le Second Empire, les ouvriers agricoles embauchés (avec femme et enfants) pour la création de vignobles commerciaux, se construisent des gariotes (guérites) dans les murailles (parets) et les pierriers (cayrous) des parcelles défrichées.

L’importance numérique, au sein des auto-constructeurs, de représentants de la paysannerie, ne doit pas occulter l’existence d’une autre catégorie de bâtisseurs, les ouvriers d’industrie. Ainsi, dans le Gard, nombre de capitelles des garrigues de Nîmes, de Sommières, d’Uzès et de Marguerittes furent édifiées par les ouvriers textiles de ces villes lorsqu’ils purent devenir propriétaires de quelques arpents.

Enfin, au nombre des bâtisseurs à pierre sèche au XIXe siècle, figurent également le chasseur et le braconnier, à l’origine de postes de chasse à l’affût spécialement conçus pour des activités cynégétiques ; le cantonnier, édifiant, seul ou en équipe, des abris en bordure de route pour se protéger de la pluie ; et même l’amateur distingué (châtelain, facteur, artiste) construisant pour le plaisir ou pour se faire valoir.

Contrairement à une croyance répandue, le berger construisait rarement des abris individuels en pierre sèche, astreint qu’il était à surveiller son troupeau en constant déplacement. C’est son employeur, le propriétaire du troupeau, qui est à l’origine des bergeries en pierre sèche servant à abriter le troupeau la nuit.

LES CONSTRUCTEURS PROFESSIONNELS

En dehors des auto-constructeurs, il y avait ce qu’on peut appeler les semi-professionnels et les professionnels de la maçonnerie sèche, édifiant des cabanes à la demande.

Au XIXe siècle, nombre de paysans avaient un tour de main de maçon, en particulier en Limousin et en Quercy, et construisaient pour le compte d’autres paysans ou pour des parents et des amis.

À côté de ces semi-professionnels on trouvait des professionnels à temps plein, soit artisans-maçons non spécialisés, soit maçons spécialisés dans la pierre sèche. L’existence de ces derniers est attestée pour le Languedoc et la Provence dès la fin du XVIIe siècle. Certains auraient même été des compagnons-maçons dont le chef-d’œuvre était une belle cabane.

Enfin, les carriers et les puisatiers sont parfois évoqués à propos de la construction à pierre sèche : les carriers dans la l’édification de cabornes du Mont d’Or lyonnais dans le Rhône, ou de certains cabanons pointus dans les Alpes-de-Haute-Provence ; les puisatiers dans l’édification de chapes voûtées en pierre sèche au-dessus de puits à eau.

LES VESTIGES DU « SIÈCLE D'OR »

Si les bâtisseurs à pierre sèche de jadis sont désormais mieux connus, les œuvres qu’ils ont laissées sont à l’abandon et en voie de disparition.

Christian Lassure
Paris, 10 décembre 2009


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© CERAV
29 avril 2017 / April 29th, 2017

Référence à citer / To be referenced as :

Christian Lassure
Le grand mouvement de construction de cabanes en pierre sèche en France aux XVIIIe et XIXe siècles (The Great Building Movement of Dry Stone Huts in France in the 18th and 19th centuries)
http://www.pierreseche.com/definition_mouvement.htm
Mis en ligne le 29 avril 2017

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