COMPTE RENDU
Michel Rouvière, Le
« tinal » ou cellier dans la vigne en Ardèche méridionale
(architecture, outil et aménagements divers),
in La Viste. Voir et connaître le pays des
Vans [Ardèche], bulletin No 21, juin 2007, pp. 2-8
En langue d’oc, le terme tino
(f), en français régional tine, désignait autrefois la cuve de bois
cylindrique disposée verticalement et destinée à faire cuver la vendange.
Tino a donné tinal, terme qui est mentionné dès le XVIe siècle dans
des compoix et qui peut désigner, dans certaines zones, un local isolé où l’on
faisait le vin quand la parcelle de vigne était éloignée de la maison (cas des
parcelles détenues par des habitants d’autres villages ou forains) (1).

À partir du déchiffrement d’un
compoix-terrier de 1653 et de ses observations personnelles sur le terrain,
Michel Rouvière a repéré et identifié trois bâtiments anciennement à usage de
cellier ou tinal situés sur la commune de Vinezac et aujourd’hui aménagés
en résidences après au moins trois siècles et demi d’existence. Il montre que
ces différents tinals appartenaient à des forains venant de communes
situées à l’ouest des terroirs nord de la commune de Vinezac et exploitant une
ou plusieurs parcelles de vigne. Des millésimes gravés sur des éléments
architecturaux, une tuile portant un patronyme, témoignent de la longue histoire
(trois siècles et demi au moins) de ces édicules.
Un de ces tinals, noyau originel d’un mas isolé, au lieu-dit
La Sauzède, a fait l’objet en 1988, d’une monographie retraçant son évolution
architecturale du XVIe au XXe siècle (2).
L’auteur a consulté également divers documents d’archives des
XIIIe, XIVe, XVIe siècles, recopiés au XVIIIe
siècle. Ces documents mentionnent non pas des tinals mais des celliers.
Le copiste de 1722 a probablement traduit à partir du latin cellarium ou
penarium (ce dernier terme a donné penorre ou penotte dans
le compoix de Vinezac de 1653).
À la suite d’une enquête
archivistique, Michel Rouvière décrit quelques tinals encore existants
qu’il lui a été donné d’observer, en particulier le « tinal à cinq portes » du
terroir des Brousses à Faugères, qui appartenait à plusieurs viticulteurs
forains.
Le contenu d’un tinal est détaillé dans une autre observation
faite en 2003, description précieuse car aujourd’hui le matériel viticole et vinaire
disparaît en même temps que les bâtiments :
« Ce petit bâtiment sur deux niveaux, accessibles par des escaliers, comprend
à l’étage un fouloir mobile à bras, posé sur tréteaux ; une gaine qui passe à
travers le plancher aboutit dans une tine au rez-de-chaussée.
Au rez-de-chaussé, à côté de la tine, une pompe à vin avec des tonneaux et du
matériel vinaire ; à l’extérieur, sous l’avancée de l’étage, on trouve un
pressoir circulaire ».
Voilà des vestiges qui mériteraient certainement une étude architecturale et un
inventaire matériel avant de disparaître.
Les quelques comparaisons que
Michel Rouvière esquisse en fin d’article avec des tines (pl de tina)
catalanes de la région de Manresa, protégées par une cabane en pierre sèche (3),
ou plus près de l’Ardèche, avec les tinos de la garrigue de Nîmes,
abritées par un couvert en pierre sèche, donnent à penser que le sujet est loin
d’être épuisé.
Au passage, l’auteur fait un sort aux prétendues « cuves
vinaires » creusées dans le grès à Vinezac : ce ne sont que des fouloirs
(comme leurs consœurs catalanes du pays de Bagès, tines excavades à usage
de follador (fouloir), datées des XVe-XVIe siècles).
Si l’article est des plus
intéressants, on peut cependant penser que son contenu aurait gagné à être
présenté de façon plus structurée et avec des intertitres plus apparents. Il est
vrai qu’il s’agit du résultat d’une enquête toujours en cours, de plus présentée
comme communication orale aux Journées culturelles des Vans en 2006,
manifestation dont le thème était « La vigne et le vin ».
NOTES
(1) Cf. Michel Rouvière, rubrique
Wine Cellars and Vaults (France), dans Encyclopedia of Vernacular Architecture of
the World, edited by Paul Oliver, Cambridge University Press, vol. 1, IX, Uses
and functions, p. 698. Pour que le public français puisse prendre connaissance de
cette rubrique d’une encyclopédie de langue anglaise qui n’a pas été traduite en
français, nous en reproduisons ici l’original français suivi de sa traduction en
anglais.
CELLIERS ET CAVES
WINE CELLARS AND VAULTS
Il y avait en France deux sortes
de locaux fonctionnels dans la maison vigneronne classique (c'est-à-dire avant
le milieu du XIXe siècle) : le local où l'on fabriquait le vin et le local où on
le conservait.
There were two kinds
of functional premises in the classic viticulturist house of France (i.e. before
the middle of the 19th century): the place where the wine was made, and the
place where it was stored.
Le local de fabrication comporte la cuve et le pressoir : c'est
le « cuvage » en français commun. Comme il faut une bonne aération
(à cause de la chaleur dégagée par la fermentation) et qu'il importe de ne pas
gêner les manipulations, il est ménagé nécessairement au rez-de-chaussée.
The former contains
the vat and wine-press, and is known as the cuvage, the vat room. Since
ventilation must be good because of the heat given off by fermentation, and the
various wine-making operations must not be disturbed, this room has to be on the
ground floor.
Le local de conservation doit
jouir d'une température variant au maximum entre 10° et 15° C, pour éviter les
altérations du vin. En fonction des conditions locales, cette pièce sera soit un
cellier voûté en rez-de-chaussée, soit une cave souterraine, cette dernière
solution étant la meilleure. Un certain nombre de facteurs, toutefois, ont
favorisé le cellier en rez-de-chaussée : un sous-sol trop humide, le manque
chronique de futailles, la distillation immédiate du vin pour faire de l'eau de
vie pour l'exportation.
The wine-store must
have a temperature fluctuating at the most between 10° C (50° F) and 15° C (59°
F), to avoid any deterioration in the wine. Depending on local conditions, this
room is either a vaulted wine-cellar (cellier) on the ground floor, or an
underground cellar (cave), the latter being preferable. However, a
certain number of factors may have favoured the ground-floor cellier:
excessive humidity in the underground cellar, the chronic shortage of casks, and
immediate distillation of the wine to make spirits for export.
On conçoit aisément que la
typologie des maisons vigneronnes repose sur celle des locaux vinaires. Charles
Parain distingue trois types :
1 - le cellier non voûté installé à côté de l'habitation,
2 - la cave sous l'habitation,
3 - le cellier voûté sous l'habitation.
It will be easily
understood that the typology of viticulturist houses depends on that of the
cellar where the wine was made or stored. Charles Parain distinguishes three
types:
- the unvaulted cellier built beside the house ;
- the cave underneath the house ;
- and the vaulted cellier underneath the upper floor of the house.
Dans la maison en
rez-de-chaussée, la création d'un cellier non voûté contribue au développement
en longueur ou en profondeur du bâti : c'est le chai des pays aquitains au
climat océanique. Le type est fréquent également dans les grandes exploitations
des plaines viticoles du Languedoc.
In a single-storey house, the building of an unvaulted cellier adds to the
length or depth of the building structure, as in the chai of Aquitaine with its
maritime climate. The same type is also common in the large wine-growing farms of
the Languedoc plains.
Dans la maison en
rez-de-chaussée avec cave en sous-sol, l'accès à cette dernière se fait par une
entrée et un escalier indépendants. La cave peut être enterrée, voûtée ou
creusée dans le sol rocheux. C'est le type courant du Bassin Parisien. Son aire
d'extension se prolonge en Auvergne et en Bourgogne. La cave peut être aussi
creusée dans une falaise rocheuse à proximité de la maison d'habitation, comme
c'est le cas dans le Val de Loire.
In a single-storey
house with an underground cave, access to the wine-store is by way of its
own entrance and stairs. The cave may be dug out, vaulted, or excavated
in rocky soil. This is the usual type in the Parisian basin. Its area of
distribution extends to the Auvergne and Burgundy. This kind of cellar may also
be excavated into a rocky cliff near the dwelling house, as in the valley of the
Loire.
Dans la maison à étage(s), le
cellier, voûté, est implanté au rez-de-chaussée, à côté de l'écurie et de
l'étable, également voûtées. Ce type de cellier groupe toutes les fonctions de
préparation et de stockage. Il est fort bien représenté en Languedoc, surtout
dans les zones de polyculture. Dans les régions de pentes, le cellier peut être
en partie excavé : c'est la cave, mot qui d'ailleurs prédomine dans le Languedoc
jusqu'aux confins de la Haute-Loire et de l'Ardèche.
In houses with more
than one storey, the vaulted cellier is located on the ground floor
beside the stable and cowshed, also vaulted. This kind of cellier groups
all the wine-making and storage functions together. It is very well represented
in the Languedoc area, particularly in mixed farming regions. In hilly areas,
the cellier may be partially excavated and is then called a cave,
a word which in fact predominates in the Languedoc as far as the borders of
Haute-Loire and Ardèche.
En Languedoc, le matériel
vinaire rencontré traditionnellement dans les caves était constitué d'une cuve
de bois cylindrique posée verticalement et plus large en partie basse : la
tino (ou tine en français local), destinée à faire « cuver » la
vendange. Elle était accompagnée de plusieurs fûts de chêne ou de châtaignier
cerclés de fer ou de bois, et quelquefois d'un pressoir.
In Languedoc, among the wine-making equipment traditionally found in caves
was a cylindrical wooden vat standing vertically, wider at the bottom than at the
top and called the tino (or tine in local French), for the fermentation
of the vintage ; also to be found were several oak or chestnut casks hooped with
iron or wood, and sometimes a wine-press.
Le mot tino a donné le terme tinal, déjà mentionné
au XVIe siècle et qui peut désigner, dans certaines zones, une grange
isolée où l'on faisait le vin quand la parcelle de vigne était éloignée de la maison.
The word tino
gave rise to the term tinal, found as early as the 16th century, which in
some areas can denote an isolated barn where the wine was made when the vineyard
itself was some way from the house.
Employé métonymiquement, le
terme tino désignait, dans la garrigue de Nîmes (Gard), un petit édifice
en pierres sèches contenant une cuve maçonnée prévue pour entreposer la
vendange.
In the garrigues of Nîmes (Gard), the word tino was used metonymically
to denote a small dry stone building containing a masonry vat to store the
grapes.
Enfin, toujours en Languedoc,
les maisonnettes des champs ou masets à la périphérie des villes
abritaient du matériel vinaire.
Finally, still in the Languedoc, the small barns (masets) on the
periphery of towns also contained wine-making equipment.
BIBLIOGRAPHIE /
BIBLIOGRAPHY
DION, Roger, 1959-1962,
Histoire de la vigne et du vin en France, des origines au XIXe siècle
(Paris: Flammarion)
LACHIVER, Marcel, 1988, Vins, vignes et vignerons (Paris: Fayard)
PARAIN, Charles, 1955, 'La maison vigneronne en France', in Arts et
traditions populaires, octobre-décembre (Paris: PUF)
PESTRE, Jean, 1981, Le vignoble du Puy-en-Velay (Le Puy-en-Velay:
l'auteur)
ROUVIÈRE, Michel, 1986, 'L'occupation de l'espace et l'évolution du bâti à
Vinezac (Ardèche) dans la 1re moitié du XVIIe siècle', in
Architecture ancienne et urbanisme en Ardèche (Lyon: La Manufacture)
(2) Cf. Michel Rouvière et
Christian Lassure, Genèse et évolution de l’habitat rural isolé en bas Vivarais
d’après l’analyse architecturale et l’étude cadastrale : l’exemple du mas de La
Sauzède à Vinezac (Ardèche), dans Etudes et recherches d’architecture
vernaculaire, no 8, 1988, pp. 1-30.
|
(3) Cf. Josep M. Panareda
Clopés, Josep Nuet Badia, Gemma Casulleras Martinez, Testimonis del conreu de la
vinya en el paisatge del Parc Natural de Montserrat, dans Els Paisatges de la
Vinya, congrés, Manreza (Bages), 24,25 i 26 d’octubre de 2003, Publicacions
del Centre d’Estudis del Bages, sèrie “Actes”, núm. 5, 2003, pp. 75-82.
Adresse de l'association La
Viste : chez le président, Pierre Aurousseau, Le Village - 07140 NAVES
(paurouss[at]club-internet.fr).
Pour imprimer, passe en mode paysage
To print, use landscape mode
© CERAV
Le 14 septembre 2007 / September 17th, 2007
Référence à citer / To be referenced as :
Christian Lassure
Compte rendu de Michel Rouvière, Le « tinal » ou cellier dans la vigne en
Ardèche méridionale (architecture, outil et aménagements divers), in La
Viste. Voir et connaître le pays des Vans [Ardèche], bulletin No 21, juin
2007, pp. 2-8
http://www.pierreseche.com/compte_rendu_tinal.htm
14 septembre 2007
page d'accueil
sommaire architecture
vernaculaire |