L'ARCHITECTURE VERNACULAIRE

 

 

ISSN  2494-2413

TOME 46-47

2022 - 2023

André Fraisse (prospection et recherche), Jean Courrènt (apiculture)

UNE RUCHE-PLACARD SUR LE PECH DE LA BADE À TOUROUZELLE (AUDE)


 

Résumé

Cet article  est la monographie d'une ruche-placard aménagée au XIXe siècle dans un mur de clôture sur la colline de La Bade à Tourouzelle dans l'Aude. Elle a la forme d'un prisme trapézoïdal dont le volume est comparable à celui de la ruche Dadant (54 dm3). Les abeilles y pénétraient par des interstices ménagés dans le bas de la paroi en pierre qui fermat le côté Est (l'avant). Le côté Ouest (l'arrière), plus réduit, était ouvert au moment de la récolte du miel (toujours installé à l'opposé de l'entrée des abeilles). Suivent des comparaisons avec d'autres ruches placard du département ainsi que des considérations sur les appellations régionales du dispositif. La ruche-placard se rencontre également dans le mur sud de maisons villageoises.

Abstract

This article is the monograph of a cupboard hive fitted out in the 19th century in an enclosing wall on the hill of La Bade in Tourouzelle, Aude. It has the shape of a trapezoidal prism whose volume is comparable to that of the Dadant hive (54 dm3). The bees penetrated there by interstices spared in the bottom of the stone wall which closed the East side (the front). The west side (the back), smaller, was open at the time of the honey harvest (always installed opposite the entrance of the bees). This is followed by comparisons with other cupboard hives in the département as well as considerations on the regional names of the device. Instances of cupboard hives are also found in the south wall of village houses.

 

Le Pech de la Bade, à Tourouzelle, dans l’Aude, est le domaine de la pierre sèche et un musée en plein air où l’on retrouve divers aménagements lithiques pour les abeilles, signes de l’importance qu’à eue l’apiculture dans cette région. Les divers abris à abeilles y sont nombreux aussi la surprise n’a-t-elle pas été bien grande de retrouver une ruche-placard soigneusement installée dans un mur de clôture (Fig.1).

 

Fig.1 - Le mur de clôture recelant la ruche-placard.

 

André Fraisse, qui l’a découverte en limite d’une parcelle envahie de chênes verts et de broussailles difficilement pénétrables, signale, « à une dizaine de mètres, un abri totalement effondré et qui semble avoir eu un grand volume. Peut-être un granjòt ? Un chemin étroit ou draille, actuellement embroussaillé, arrive assez près de la ruche-placard et débouche sur un chemin plus large, à 100 mètres environ, plus bas. Le compoix de 1724 n'a pas de carte mais est assez précis, qui indique sur ce secteur a priori des bois. En 1804, seule la parcelle 64 était inculte, boisée ou « bruyère », mais, selon la carte, une partie des parcelles environnantes était déjà en vignes, probablement à la suite des ordonnances royales de la fin du XVIIIe siècle autorisant leur plantation sur des terres nouvellement défrichées et uniquement en coteau. La ruche y était-elle déjà installée sur cette pointe de terrain vague à la forme bizarre qui pourrait en être l’accès ? La cabane voisine à laquelle on pourrait l’associer n’y est pas signalée. Celle qui était située en limite de 61 n'existe plus aujourd’hui, ou est totalement enfouie. Située à quelque 2 à 300 mètres à l'Est de la ruche-placard, elle était d’ailleurs probablement trop éloignée pour leur trouver une relation.

 

Fig. 2 - La ruche et la cabane proche sur le cadastre de 1804. La cabane (à 10 mètres environ) est très difficile à interpréter.

 

 

Fig. 3 - La façade est effondrée, le toit affaissé semble très en retrait de la façade. Le tout devait être assez imposant. Elle est actuellement cernée par une végétation envahissante.

 

 

Fig. 4 - Localisation de la ruche, point rouge, et de la cabane, le point le plus petit. Lat. 43.250607 / Long. 2.735929. La parcelle dans laquelle se trouve la ruche est aujourd’hui clôturée à l'Est et au Sud par un mur en pierres, au nord par le chemin et un mur de soutènement. Actuellement, elle est envahie par des broussailles, des chênes verts et quelque pins. Il n’y reste aucune trace de vigne ancienne. Vu la taille des chênes, elle doit être abandonnée depuis longtemps.

 

Une ruche-placard particulière


Elle a été aménagée dans un des murs de clôture

- l’arrière, côté Ouest, à 1,30 m au-dessus d’un ruisseau d’écoulement des eaux de ruissellement de la garrigue, à sec pendant la plupart de l’année,

- l’avant, côté Est, à une vingtaine de cm du sol, hauteur traditionnelle pour les murs-à-abeilles, qui les protège des remontées de l’humidité du sol.

 

Elle a la forme d’un prisme trapézoïdal dont le volume (59 dm3) est comparable à celui de la ruche Dadant (54 dm3). Les abeilles devaient y pénétrer par une paire d’interstices ménagés en bas de la paroi en pierres qui fermait le côté Est, comme on peut le voir dans les ruches-placards du granjòt de Fleury.

 

Le côté Ouest, beaucoup plus réduit, devait être ouvert au moment de prélever la récolte que les abeilles installent toujours à l’opposé de leur entrée dans la ruche. On remarquera que son encadrement est plus soigné et qui devait être fermé par une lause beaucoup plus commode à retirer et à replacer. C’est la forme retenue pour cette cavité qui retient l’attention. Pourquoi le côté visite de la ruche était-il plus étroit que celui que les abeilles empruntaient et devaient défendre contre leurs prédateurs, frelons ou lézards, par exemple ? Mais sans doute suffisait-il pour prélever les rayons de miel, opération pour laquelle il vaut mieux perturber le moins possible les abeilles.
 

Fig. 5a, 5b et 5c - Cette cavité n’a rien d’une cache pour les outils comme celle que l’on trouve aussi à Tourouzelle, ni de la niche dans laquelle on logeait une ruche-cercueil, comme celle de Port-le-Nouvelle. Dans les deux cas, il n’y a qu’une seule ouverture, soigneusement fermée pour la cache pour les outils.

 

 

Fig. 6a et 6b -  À gauche, petite resserre à outils, à Tourouzelle, largeur, 26 cm / 50 cm dans le fond ; hauteur, 43 cm ; profondeur, 75 cm ; hauteur par rapport au sol, 40 cm ; orientation, N. 340°, orientation qui ne convient pas pour une ruche. Une dalle fermait cette cavité qui s’intégrait parfaitement dans le mur en pierre sèche.
 

À droite, logement pour une ruche-cercueil, le buc utilisé en position couchée. Dimensions : 40 x 40 x 120 cm, seuil à 50 cm pour en faciliter le maniement. Un buc mesure une trentaine de cm de côté, pour une hauteur de 60 à 70 cm. On le glissait dans l’abri de cette niche d’où on le retirait pour procéder à la récolte.

 

Elle est tout à fait comparable à celles qui étaient aménagées dans les murs en pierre des cabanes, celles du granjòt de Fleury par exemple.

 

Fig. 7a - Vue de l’intérieur du granjòt de Fleury.

Fig. 7b et 7c -  En bas, à droite, mur vu de l’extérieur.

 

Quelques interrogations cependant


La réalisation des parois de cette logette a été beaucoup plus soignée que ce qui est manifeste dans les deux ruches-placards du granjòt de Fleury par exemple. Les pierres ont été choisies et apparemment jointoyées. À la longue cet enduit s’est effrité mais pourquoi ne retrouve-t-on pas de trace de cire sur les côtés ou au plafond comme Gilles Fichou en a retrouvé dans un granjòt de Villeveyrac (34) ? Ces logettes recevaient-elles des caissons en bois comme aux Mijanes (Fougax-et-Barrineuf, 09300) ?

 

Fig. 8a, 8b et 8c - À droite, ruche-cercueil, logée dans le mur, au 1er étage de l'ancienne grange à foin réaménagé en chambre d’hôtes aux Mijanes (Fougax-et-Barrineuf, 09300). Elle se trouve en bas de mur à 15 cm du plancher, dans une ouverture de toute évidence prévue à cet effet, de 31 cm de large, 35 cm de haut, dans le mur épais de 60 de cm. À l'intérieur, se trouvait à l'origine le croisillon de bois qui délimite dans les bucs, le nid des abeilles. On récoltait le miel en ouvrant la porte-couvercle côté intérieur. Le mur en travers duquel elles sont installées est orienté plein Sud. « La grange ayant été transformée en chambres d'hôtes, nous avons bouché les trous d'entrée avec des bouchons ». La description et les photos sont de Chantal Mignot, la propriétaire des chambres d’hôtes, aux Mijanes..Ruche-placard, sans doute, qui se récoltait en retirant « la porte-couvercle côté intérieur », elle rappelle cependant l’arna de nos voisins aragonais. Cette adaptation tout-à-fait personnelle de la ruche dite cercueil, retient évidemment l’attention : le propriétaire de la maison était-il catalan ? Avait-il eu des ruches-cercueil ? C’est ce que nous supposerons en découvrant qu’il a conservé un croisillon central qui n’est d’aucune utilité dans une ruche couchée.

 

La ruche-placard de Lapalme pourrait être une explication. Elle réunissait les avantages du buc en bois et de la ruche-placard : une protection renforcée et la facilité de récolte. Le modèle conservé au Musée des arts et traditions populaires de Draguignan s’insèrerait d’ailleurs parfaitement dans la logette de Lapalme, et sa construction avec des matériaux de récupération était tout à fait normale pour une réalisation à l’économie quand on privilégiait le côté pratique. Les trous dans le mur correspondaient aux ouvertures réservées aux abeilles dans le fond de la caisse en bois. Évidemment, il s’agit du logement idéal pour un essaim et tout autant pour son propriétaire qui pouvait le visiter aisément.

 

Fig. 9a, 9b et 9c - La ruche-placard de Lapalme De gauche à droite, logement de la ruche ; vue latérale du buc et son positionnement dans le mur (musée de Draguignan) ; aspect extérieur de la reconstitution possible de la ruche-placard des Trois-Jasses de Lapalme.

 

Pour approfondir la connaissance


Le terme « ruche-placard » n’est pas très ancien et on peut y voir une traduction de la alacena, le placard où étaient logées les abeilles en Galice, région où ce type de ruche est très répandu. Au XIXe siècle, le docteur Buzairiès, qui s’était beaucoup intéressé à cette construction vernaculaire dans l’Aude, ne l’appelait jamais que « la ruche en bâtisses », « la ruche en maçonnerie », ou « la ruche de muraille », ce qui n’est que la traduction du buc de muralha occitan. À la même époque, en Provence, Canolle utilisait l’expression « loge à abeilles ».

Ces petits placards aménagés dans le mur sud, se retrouvent aussi dans des maisons généralement du XIXe siècle, et on s’émerveille en découvrant qu’ils abritent, parfois encore de nos jours, les ruches de la famille. L’usage, qui fait de l’abeille un des éléments constituants de la maisonnée, à l’instar du chien ou du chat, est pourtant bien plus ancien.

 

Fig. 10 - Entrée de ruche-placard à Barles (04), non loin de Gap. Photo Pierre Mestre (2014).


Le recensement de ces ruches est encore à réaliser car nous n’en connaissons qu’un nombre bien limité. La tâche s’avère ardue et bien aléatoire. Pourquoi aménageait-on des ruches-placards ? Dans quelles régions ? Comment retrouver ces ruches ? Quel souvenir en gardent nos Anciens ?

Un essai de classification permet cependant de distinguer la ruche qui appartenait traditionnellement et de tous temps au cercle familial, de celle que nous dirons « de nécessité ». La première avait été aménagée lors de la construction de la maison. C’était, en quelque sorte, un buc maçonné en même temps que montait le mur. Elle formait un parallélépipède bien régulier, avec une ouverture à l’intérieur du logis fermée par une petite porte, qui permettait la récolte. La ruche « de nécessité » avait été aménagée, probablement en des temps d’insécurité – pendant la dernière guerre par exemple – en enlevant une grosse pierre du mur et en fermant l’espace libéré avec un panneau de bois. C’est le cas à Villespy (Aude) où trois ruches ont été aménagées dans l’escalier qui monte au premier étage et quatre au grenier. Côté rue, on ne voit qu’un petit trou par où passent les abeilles. Parfois, un bout de tuile accueille les abeilles qui s’y posent avant de rentrer dans le nid.

La recherche de ces ruches réserve souvent quelques belles surprises et l’on regrette qu’elle soit si aléatoire. Il faudrait être plus nombreux pour en réaliser l’inventaire. La disparition de la ruche-placard de Labastide-Esparbeïrenque, en 2005, illustre bien l’extrême urgence de ce recensement. Le sujet est très vaste et chaque jour quelque « Ancien » disparaît avec la connaissance qu’il en avait. Toute contribution, pour anodine qu’elle paraisse, permettrait de préciser ou de relancer la recherche. Aussi est-elle d’une bien grande importance. On peut trouver des informations complémentaires dans la communication Jean Courrēnt, « Les ruches-placards de l’Aude », Les Cahiers d’Apistoria, n° 3, 2004.
 

Fig.14 - Alexandre de Montfort, Traité des mouches à miel, 1690.

 

 

Référence à citer / To be referenced as :

 

André Fraisse (prospection et recherche), Jean Courrènt (apiculture)

Une ruche-placard sur le pech de La Bade à Tourouzelle (Aude) (A cupboard hive on Pech de la Bade hill at Tourouzelle, Aude)

http://www.pierreseche.com/AV_2022_fraisse_courrent.htm

25 mars 2023

 


 

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