L'ARCHITECTURE VERNACULAIRE

 

 

 

ISSN 2494-2413

TOME 38-39

2014-2015

Edoardo Micati

LES COMPLEXES PASTORAUX DES ALTIPIANI MAGGIORI DES ABRUZZES (ITALIE)

 

Résumé

Les plateaux karstiques dits Altipiani Maggiori de la région des Abruzzes en Italie ont servi de pâturages d'estive à diverses époques ainsi que l'attestent les vestiges trouvés dans le sol (céramique, monnaies) et ceux rencontrés hors sol (murs de cabanes et d'enclos). L'article étudie ces complexes pastoraux aux plans de la configuration, de la fonction et de l'âge.

Abstract

The karstic plateaux known as Altipiani Maggiori in the Abruzzes region of Italy were used as summer pastures in various periods of the past as evidenced by vestiges found in the soil (ceramics, coins) as well as above ground (walls of huts and enclosures). The article sets out to examine the layout, functions and dates of these pastoral complexes.

 

Les Altipiani Maggiori des Abruzzes (Italie) représentent de vastes étendues de pâturages situées à une altitude moyenne de 1250 m au-dessus du niveau de la mer. Ces étendues sont séparées par des reliefs calcaires avec des sommets atteignant plus de 2000 m. Il s’agit d’anciens bassins lacustres qui, pendant le Pléistocène, se vidèrent pour se remplir ensuite de sédiments qui donnèrent lieu à des « plateaux karstiques » avec des restes de zones palustres.

Zone de recherche.

Le territoire particulier et unique des Altipiani Maggiori constitue un exemple d’habitat montagneux presque intact dans les Abruzzes de l’intérieur. Sa morphologie particulière et sa nature sauvage ont permis la conservation de précieuses archives « en plein air ». Des témoignages de très anciennes présences ont été retrouvés dans les terrains exploités par les élevages jusqu’à il y a une dizaine d’années.

Complexe pastoral d’époque romaine, au lieu-dit Le mantrucce, à Scanno (L’Aquila).

Cette recherche a fait ressurgir les plus anciens complexes pastoraux. L’apport sédimentaire plutôt mince (à peu près une dizaine de centimètres) a permis à quelques vestiges céramiques de se conserver sous une mince couche de gazon et parfois même de se trouver en surface. Ces vestiges couvrent généralement une période assez longue, qui va des IIe-IIIe siècles avant J.-C. aux IVe-Ve siècles après J.-C.

Poteries d’époque romaine, au lieu-dit Le mantrucce, à Scanno (L’Aquila).

Plus de 20 sites pastoraux, sur les 120 recensés au cours de six années, ont restitué plusieurs pièces archéologiques d’époque romaine. Ces vestiges de l’époque romaine, qui vont jusqu’au Ve siècle après J.-C., marquent la fin subite d’une longue période de sept siècles d’exploitation de ces pâturages de hauts plateaux.

Après la chute de l’Empire Romain d’Occident (476 après J.-C.), les garanties de sécurité nécessaires à l’élevage des moutons en transhumance s’évanouirent, ce qui entraîna un déclin rapide et l’abandon total des zones montagneuses. Le rétablissement de leur exploitation, selon de nombreux documents historiques, se vérifie peut-être à partir des XIIe-XIIIe siècles.

Monnaies du IIIe siècle avant J.-C. et du Ier siècle après J.-C., au lieu-dit Le mantrucce, à Scanno (L’Aquila).

Les cabanes

Dans les complexes pastoraux, les abris des bergers montrent différents types :

- la simple cabane en fibres végétales ;

- l’abri sous roche clôturé d’un mur en pierre sèche ;

- la cabane en maçonnerie ;

- la cabane à plan carré ou rectangulaire à soubassement en pierre sèche et à toit de bois ou de foin.

Cabane à un seul versant et cabane à deux versants.

Il est très probable que ce dernier type, le plus répandu dans les pâturages des Abruzzes, a caractérisé les abris de la société pastorale depuis les origines jusqu’à nos jours.

Les cabanes en pierre sèche pouvaient être recouvertes par un toit en bois à deux versants ou bien à un seul versant.

Dans le premier cas, le mur à sec s’élevait pour définir l’inclinaison des versants.

Dans les cabanes plus petites et situées sur une pente, le toit était réalisé à un seul versant avec une légère inclinaison vers l’entrée.

Dans l’un et l’autre type on tendait toujours à enterrer partiellement la cabane ou à l’appuyer aux rochers pour améliorer l’isolement thermique, mais aussi pour ménager ses efforts lors de la construction d’un mur à sec.

La partie enterrée de la cabane était cependant revêtue d’un parement en pierre pour obtenir une plus grande stabilité mais aussi pour améliorer la propreté à l’intérieur. En observant les ruines le long des pâturages, on constate, malgré le remplissage causé par l’écroulement des murs, la dépression créée par le fort enterrement de la cabane.

Cabane à deux versants au lieu-dit Sparvera, à Scanno (L’Aquila).

Les enclos

Les types d’enclos pastoraux retrouvés dans la zone des recherches sont au nombre de deux : les enclos mobiles et les enclos fixes.

1 - Les enclos mobiles

Les enclos mobiles étaient formés par une armature de gros pieux qui étaient enfoncés dans le terrain, et par une clôture formée par des filets ou par des parois à claire-voie. On doit supposer que ce genre de clôture a été beaucoup utilisé et que ce genre d’enclos était très commun, souvent aussi lié à celui en pierre sèche, exactement comme on peut le voir aujourd’hui dans les rares complexes pastoraux encore en activité.

2 - Les enclos fixes

Les enclos fixes sont les seuls dont on a des témoignages évidents. Les typologies de construction des enclos en pierre peuvent se rapporter à des périodes assez précises. En excluant les enclos modernes en béton, on peut distinguer quatre types d’enclos en pierre sèche : les enclos de formes variées, les enclos quadrangulaires fermés, les enclos quadrangulaires à peigne et les enclos circulaires pour la traite

2.1 - Enclos de formes variées

Les enclos de ce genre sont les plus nombreux et les plus anciens. Ils montrent les signes du temps sur les murs en ruine qui émergent à peine du tapis d’herbe : celui-ci a pris le pas sur les pierres et l’on ne devine à l’enclos qu’à un léger renflement du terrain.

Enclos pastoraux d’époque romaine au lieu-dit Ospeduco, à Barrea (L’Aquila).

 

Complexe pastoral au lieu-dit Valpistacchia.

On reconnait les plans des enclos les plus anciens seulement en les observant d’en haut ou à l’aide de photos aériennes. La forme des enclos est très variée :  leurs murs s’adaptent à la morphologie du terrain en s’appuyant à de petites parois et ils englobent, dans leur périmètre, de grosses pierres, de façon à exploiter toute les aspérités possibles. On comprend donc pourquoi on a choisi, pour ces enclos, les lieux les plus pierreux possibles afin d’avoir à disposition du matériau pour les murs et un fond rocheux pour un meilleur gîte du troupeau. Chaque ligne de crête, même du plus petit relief, se prêtait à la construction d’un enclos.

Dans certain cas, sur les pentes uniformes, les murs descendent plus ou moins droits et parallèles entre eux, mais on remarque qu’il n’y a pas de recherche de linéarité, car on tendait à englober dans les murs chaque formation rocheuse naturelle qui se trouvait à proximité de l’enclos.

Mais les enclos ne sont pas tous fermés : dans quelques-uns d’entre eux, le mur vers le bas n’est pas présent. Dans ce cas il était remplacé par un filet.

Malgré l’ouverture vers le bas, il est assez fréquent de trouver dans l’enclos une autre petite entrée. En effet,  une fois le troupeau introduit dans l’enclos et le filet refermé, la petite entrée servait de passage pour la traite. Sauf exception, il est difficile d’évaluer l’épaisseur et la hauteur des murs, parce que ce genre d’enclos se trouve dans un état de dégradation avancée. Souvent les traces sur le terrain sont assez larges mais cela vient du fait que les pierres se sont répandues après l’écroulement des murs. D’après les restes des murs, leur largeur varie de 60 cm à 2 m, tandis que leur hauteur atteint rarement un mètre.

2.2 - Enclos quadrangulaires fermés

Les enclos de ce genre, à l’exception de cas très rares, se trouvent dans les complexes pastoraux à cabane en maçonnerie.  

Enclos quadrangulaire fermé et cabane au lieu-dit Valle Pistacchia, à Barrea (L’Aquila).

 

Enclos quadrangulaire fermé et cabane en maçonnerie, au lieu-dit La Rapina, à Pescocostanzo (L’Aquila).

 

Complexe pastoral au lieu-dit La sparvera. Enclos quadrangulaire fermé, cabane en pierre sèche et cabane en maçonnerie.

Ces enclos montrent une organisation plus moderne qui renvoie aux deux siècles derniers.

Le plan de ces enclos n’est plus fortuit mais, au contraire, reflète un projet bien précis aussi en raison du nombre d’animaux que l’entreprise pastorale possédait.

Dans la construction de ces enclos en pierre sèche on déduit l’apport d’une main spécialisée. On voit non plus une accumulation sommaire de pierres faite par le berger, mais des murs construits probablement par des ouvriers spécialisés et faits pour résister à l’usure du temps.

L’épaisseur des murs varie de 80 à 150 cm tandis que la hauteur est d’environ 1 m. Les entrées, d’une largeur qui peut varier de 80 centimètres à 2 mètres, se trouvent généralement en aval. Les passages d’un secteur à l’autre sont très rares. La largeur des secteurs atteint difficilement 20 m avec un minimum de 8-10 m. Les côtés verticaux sont au contraire plus longs et vont d’un minimum de 17 m à un maximum de 28 m. Le nombre des secteurs varie de 2 à 5.

Le choix du terrain où édifier l’enclos n’est plus conditionné par la présence de rochers et de parois mais au contraire, privilégie un terrain complètement libre et légèrement en pente.

Dans quelques enclos, pour donner peut-être une plus grande stabilité aux murs, on les a recouverts d’une couche de ciment. Tout cela, dans une zone où la neige s’amasse copieusement, a causé beaucoup de dégâts aux enclos. En effet la poussée de la neige a agi sur de longs tronçons de mur assez rigides à cause du ciment, en les détruisant complètement.

Ce genre d’intervention montre le changement des techniques traditionnelles des constructions en pierre sèche. En effet, auparavant, on posait sur le sommet des murs de grosses pierres en boutisse perpendicu-lairement à la longueur pour les protéger sans les raidir.

3 - Enclos quadrangulaires à peigne

Ces enclos sont très semblables à ceux déjà décrits, que ce soit dans la réalisation des secteurs ou dans celle des murs en pierre sèche. Ils sont discontinués du côte aval et c’est pour cela qu’ils sont dits « à peigne ». Ces ouvertures vers le bas étaient fermées par des poteaux en bois et des filets. Le nombre des secteurs varie de 3 à 4.

Enclos quadrangulaire à peigne, cabane en pierre sèche et cabane en maçonnerie au lieu-dit Pantaniello, à Barrea (L’Aquila).

 

Complexe pastoral au lieu-dit Pantaniello. Enclos quadrangulaire à peigne, cabanes en pierre sèche et cabane maçonnée.

4 - Enclos de traite à plan circulaire

Ces enclos circulaires en pierre sèche servaient seulement pour la traite et ils se trouvent tous dans les complexes pastoraux à enclos quadrangulaires dont ils ont la qualité au niveau constructif. En effet, ils ont été construits dans la même période dans les communes de Rivisondoli (AQ) et Pescocostanzo (AQ).

La présence de nombreux enclos de traite, aujourd’hui disparus, a été relevée grâce à quelques photos aériennes de 1943. Le diamètre des enclos de traite mesure à peu près 15 m. L’épaisseur des murs varie de 60 à 80 cm. La hauteur des murs est  de 80 cm environ. Ils présentent deux entrées opposées diamétralement, généralement d’une largeur de 40 cm, où se faisait la traite.

Enclos quadrangulaire fermé, enclos circulaire pour la traite et cabane en maçonnerie, au lieu-dit Crete Rosse, à Rivisondoli (L’Aquila).


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© Edoardo Micati - CERAV

Référence à citer / To be referenced as :

Edoardo Micati

Les complexes pastoraux des Altipiani Maggiori des Abruzzes (Italie) (Herders' settlements of the Altipiani Maggiori of Abruzzo, Italy)

Hommage à Michel Rouvière (dir. Christian Lassure)

L'architecture vernaculaire, tome 38-39 (2014-2015)

http://www.pierreseche.com/AV_2014_micati.htm

12 mai 2014

L’auteur :
Ethnologue, spécialiste reconnu de la petite architecture rurale des Abruzzes en Italie, Edoardo Micati s'est intéressé aux cabanes en pierre sèche, aux ensembles pastoraux de montagne, aux inscriptions gravées par les bergers sur les rochers et dans les grottes pastorales, aux cuves de foulage en plein champ, etc., publiant le résultat de ses travaux dans des revues italiennes ainsi qu'étrangères (comme
L'architecture vernaculaire ou Piedras con raíces) et dans plusieurs livres publiés par des maisons d'édition italiennes.

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