L'ARCHITECTURE VERNACULAIRE

 

 

 
ISSN 2494-2413 TOME 38-39 2014-2015

Jean-Marc Caron

DERNIERS TÉMOINS D'ENDUITS À LA CHAUX À SAINT-CYBRANET (DORDOGNE)

 

Résumé

Au début du XXe siècle, l'emploi du ciment devient de plus en plus intensif, ce nouveau matériau va supplanter rapidement la chaux qui était alors le matériau utilisé pour protéger les murs, surtout après la Première Guerre mondiale. Depuis plusieurs décennies, la mode des pierres apparentes a contribué à la disparition de la grande majorité des enduits de façades des maisons du monde rural. En Sarladais et dans la Bouriane voisine, comme pratiquement partout en France, le corps d'habitation des maisons rurales était enduit, plus rarement les dépendances, exception faite parfois de pigeonniers et de granges. Des maisons, de plus en plus rares, ayant conservé leur vieil enduit, j'ai souhaité établir cette première approche, dans l'espoir que des travaux plus poussés pourraient être envisagés.

Abstract

In the early 20th century, cement started to be used in ever increasing quantities so that, after the first world war, it rapidly superseded the use of lime as a material for protecting walls. For several decades, the craze for exposed stones has been instrumental in the removal of most of the lime and sand rendering from the façades of rural houses. In the Sarlat area and neighbouring Bouriane, as almost everywhere in France, the living quarters of rural houses were rendered, while dependencies were not, except for dovecotes and barns. As fewer and fewer houses retain their former rendering, I have deemed it necesssary to establish this initial survey, hoping that it will be followed by in-depth studies.

 

La commune de Saint-Cybranet est située à l’extrême sud-est du département de la Dordogne, à 17 kilomètres au sud de Sarlat. Le bourg est situé dans la vallée du Céou, une rivière qui se jette dans la Dordogne. La commune est composée de lieux-dits répartis sur l’ensemble des coteaux de la vallée.

L’ancien bâti de la commune n’a pas échappé à la mode des pierres apparentes. Les façades des maisons ont presque toutes perdu leurs enduits  pour mettre en évidence les pierres rejointoyées. Toutefois il subsiste quelques témoins encore parés, partiellement, de leur vieil enduit. Une caractéristique commune à tous ces enduits à la chaux est la présence de nombreuses taches blanches décoratives. En dehors de l’intérêt évident que représente l’utilisation de la chaux pour les enduits du vieux bâti, la présence de ces taches apporte un élément supplémentaire d’investigation. Ces taches réduisent également ce champ d’investigation à l’espace géographique limité au territoire de la commune et au temps représenté par la période de mise en œuvre de cet élan de construction ou de cette mode locale. J’ai tenté d’apporter quelques éléments de réponse dans l’exposé qui suit.

1 - Qu'est-ce qu'un enduit ? Quelles sont ses propriétés ? Quelle est sa composition ?

Un enduit peut se définir comme étant un revêtement, liquide ou pâteux, appliqué en une ou plusieurs couches sur un support afin d'en assurer la protection et l'esthétique. Si la protection des murs est le but principal pour les maisons modestes, l'esthétique n’en est pas pour autant absente. Nous le verrons dans l’emploi des badigeons [1].

Un enduit doit posséder certaines propriétés pour remplir pleinement ses fonctions. Il doit répondre à certains critères pour être le plus efficace possible face aux contraintes posées par le bâti. Les quatre principales caractéristiques sont l'élasticité, la perméabilité, l'isolation et la protection.

L'élasticité et la plasticité de l’enduit vont éviter les phénomènes de fissuration. Des fissures peuvent apparaître à la suite des mouvements naturels du bâti, lesquels, même faibles, sont constants. D'autres phénomènes comme un séchage trop rapide peuvent être la cause de fissures. Le faïençage survient également à la suite d'un mauvais dosage, trop riche en liant.

Du fait de sa perméabilité, l'enduit « respire » et assure efficacement les échanges hygrométriques. Il permet l'évaporation des eaux contenues dans les murs, par remontée capillaire ou condensation. Il a une porosité indispensable à la bonne longévité de la maçonnerie.

Enfin le rôle fondamental revient à l'isolation et à la protection des matériaux employés dans la maçonnerie contre les effets de la pluie, du vent, du gel et de toute variation thermique. Un mur comportant de nombreuses pierres gélives, mises à nu et subissant directement l'effet des intempéries, va rapidement en souffrir.

La chaux possède d'autres qualités dont une bonne isolation phonique mais cette caractéristique de notre société bruyante n'était sans doute pas une priorité durant la seconde moitié du XIXe siècle pour l’agriculteur.

L'enduit se compose d'un liant [2], de chaux ou de terre, parfois des deux et d'un agrégat [3], le sable. À signaler la présence d'un autre agrégat, la castine [4], qui fut employée dans la construction et l’agrandissement de granges sur la commune de Saint-Cybranet.

Les adjuvants de coloration semblent peu utilisés pour la simple habitation rurale qui nous intéresse.

2 - La chaux

La fabrication de la chaux, maîtrisée depuis l'Antiquité, est obtenue en chauffant une roche calcaire pure à 95 %. La roche se transforme en chaux vive sous l'effet de la chaleur atteignant environ neuf cents degrés. Cette chaux, très corrosive, est ensuite éteinte avec de l'eau par réaction chimique.

La chaux aérienne ou chaux grasse est mélangée avec du sable et de l'eau pour obtenir une pâte onctueuse et souple qui ne fera prise que lentement à l'air. Cette réaction au gaz carbonique est appelée « carbonatation ». Son utilisation et sa facilité d'emploi sont liées exclusivement aux enduits et badigeons, finitions et décors. Cette chaux possède un excellent pouvoir d'accrochage.

La chaux hydraulique naturelle contient une quantité d'argile plus importante, entre 8% et 20%. Cette chaux va durcir à l'eau plus rapidement que la chaux aérienne et ne pourra donc pas être utilisée pour les badigeons, mais en enduit elle est très pratique à appliquer. Toutefois, la dureté de cette chaux est plus sensible que celle de la chaux aérienne et sa couleur moins blanche. Il existe des chaux hydrauliques répondant à diverses normes et à des usages très différents.

3 - Méthodes d'application

Le jeté à la truelle est la méthode la plus utilisée avant la fin du XIXe siècle. Cette technique est d'ailleurs toujours en vigueur. Même si la projection au compresseur est une pratique courante, le jeté à la truelle reste la base de la maçonnerie, le coup de main indispensable, chaque maçon a sa lisseuse, celle dont il se sert depuis des années.

Une autre méthode, plus ancienne, est celle de l'enduit au « balai ». La confection d'un balai se fait avec des brins de genêts ou d'autres végétaux dont l'assemblage des petites branches forme une sorte de balai. L'emploi de ce balai diffère des explications que j'ai pu lire où l'enduit est jeté sur la surface du mur en gestes circulaires avec le bras. La démonstration qui me fut fournie est la suivante : il convient de tenir le balai d’une main mais aussi un bout de bois ou une baguette facile à tenir dans la main opposée. La projection se fait de face en venant frapper le balai sur le bout de bois tenu à l'horizontale devant soi. C'est au moment de l'impact que le mortier se trouve propulsé sur le support. Dans ce cas, l’enduit ne présente pas ces traces de gestes circulaires. Si le jeté à la truelle requiert un bon coup de main et de l'expérience, la méthode du balai peut facilement être mise en œuvre. Dans le monde rural, souvent très modeste, la technique était des plus avantageuses. Facilité d'exécution, économie financière, tous les paysans ou presque pouvaient crépir, protéger un bout de mur, réparer un enduit endommagé.

4 - Réalisation

Un enduit est réalisé en trois couches. C'est la façon dont est présenté l'enduit dit « traditionnel » et normalisé NF DTU 26-1 (fiche pratique du CAUE de Franche-Comté n° 1) [5]. Nous verrons que, dans la plupart des maisons observées, la technique des trois couches n'est pas pratiquée sur le bâti ancien. Les murs qui reçoivent l'enduit comportent des vides, des creux, les joints sont plus ou moins larges entre les moellons tout venant, il est alors nécessaire d'effectuer un premier rattrapage grossier afin de boucher les plus gros trous. L’enduit est généralement réalisé en une ou deux passes, ce qui ne signifie pas deux couches superposées. Les passes ont une cohésion entres elles, puisque la première n’a pas séché et que la deuxième s’effectue dans la foulée, alors que plusieurs jours peuvent séparer deux couches. Les vides, trous et creux sont traités en priorité, le deuxième passage est effectué, plus ou moins épais, venant souvent mourir sur les pierres, les laissant de temps en temps à fleur, jamais en joints creux, au contraire de la mode des pierres apparentes. Nous reviendrons sur l’accrochage de l’enduit dans l’observation sur le terrain.

5 - Les trois couches

Le gobetis, riche en liant, compose la première couche fine qui est jetée très liquide à la truelle. Cette couche va permettre à l'enduit de s'accrocher correctement. Elle ne doit donc pas être lissée, ni même comporter des points lisses, elle doit être laissée aussi brute que possible avec ses nombreuses petites aspérités. Le gobetis doit être jeté sur une surface propre, nettoyée de ses poussières et autres dépôts qui empêcheraient une adhésion correcte.

Le corps d'enduit, le dégrossi, forme la deuxième couche plus épaisse que le gobetis. Il est jeté à la truelle sur le gobetis encore frais et relevé avec le tranchant de la truelle d'un geste circulaire. Il n'est ni lissé ni taloché afin d'assurer un bon accrochage pour la finition. Il assure son rôle de protection et permet également d’aplanir légèrement les irrégularités des murs.

La finition est la dernière couche appliquée, plus fine, qui, outre sa fonction de protection, participe à l'esthétique de la façade.

6 - Les badigeons

Les chaînages, les encadrements des portes et fenêtres, le haut des murs gouttereaux sous la génoise, recevaient la plupart du temps un traitement permettant la mise en valeur des formes et des volumes. Le badigeon s'étalait sur une surface lisse, les bandeaux. Ceux-ci étaient effectués en retrait ou à l'inverse en surépaisseur par rapport au reste de l'enduit de la façade puis lissés à la taloche ou avec le dos de la truelle. Mais très souvent, un simple trait effectué avec le tranchant de la truelle marque la séparation entre les bandeaux et le reste de l'enduit. Ces traits sont souvent réalisés à main levée. La création de bandeaux masque efficacement les raccords qui peuvent être visibles entre deux zones. En complément de ces bandeaux, pratiquement communs à toutes les façades des habitations, d'autres motifs étaient parfois peints au lait de chaux sur l'enduit : taches blanches, roues de charrettes, rosaces, croix, cadrans solaires, faux parements. C’est le mélange chaux + eau, suivant les proportions utilisées, qui donnera un lait de chaux plus ou moins épais pour différents emplois. Le badigeon est appliqué sur l’enduit encore frais (enduit a fresco).

D'autres traitements esthétiques sont effectués sur certaines façades. Par exemple le marquage à la truelle de faux chaînages où les angles des pierres de taille sont représentés (voir la maison de Pierre Vitalis dans la section « Sur le terrain »). De tels marquages à la truelle s'observent souvent sur les vieilles façades, pour les chaînages, la séparation des niveaux, les faux parements, accompagnés ou non de badigeons.

7 - Le sable, les sables

Il n'existe non pas un sable mais des sables. Le sable est l'élément majeur qui, mélangé à la chaux, assure la résistance de l'enduit.

Suivant sa provenance, il donne à la préparation une couleur bien spécifique. Les enduits locaux vont du jaune clair au beige clair jusqu’à l'ocre foncé et parfois jusqu'au rouge. Un même sable aura des tonalités différentes suivant les proportions employées lors du mélange mais aussi du temps de séchage, de l’exposition de la façade et de la nature des matériaux.

Ce sont souvent des sables ramassés dans de petites carrières de proximité. Localement, je n'ai pas vu de sable de rivière utilisé, ce qui ne signifie pas que le sable, dans la vallée, aux abords de la petite rivière du Céou, ne fut jamais utilisé. Les maçons mélangeaient souvent les sables de couleurs différentes et de qualité différente. C'est le cas de M. André Montet [6]. Il a étudié son métier à l’école mais il est aussi l'héritier d'une longue transmission familiale. Il se ravitaillait parfois en sable rouge issu de petites carrières constituées de simples bancs de sable. Il récupérait uniquement ce qui était nécessaire. Ce sable n’était que peu stocké, en tout cas jamais en grande quantité, et le plus souvent utilisé à la demande. Cet apport était mélangé au tiers ou au quart afin d'assombrir, de rougir légèrement le sable de carrière de provenance industrielle, trop jaune et trop clair.

En observant les vieux enduits, on remarque la présence de très nombreux cailloux de tailles très diverses, des altérites souvent noirs chargés en minerai de fer. De même, on trouve souvent de petites boules blanches, plus ou moins grosses, prises dans le mortier, il s'agit de chaux mal mélangée, intégrée lors du gâchage manuel de la préparation. La présence de ces cailloux et de ces traces de chaux nous renseigne d'une part sur le fait que la préparation n'était pas criblée ou alors ne l’était que très grossièrement, et d'autre part sur la provenance du sable.

En dehors du sable de carrière ou de rivière, que nous connaissons tous, les maçons et paysans utilisaient un autre sable, celui des chemins, appelé à juste titre « sable des chemins » [7]. Ce sable issu des ruissellements, des fortes pluies, des orages, s'accumulait dans le bas des pentes et les creux naturels des chemins. L'avantage de ce sable était sa relative propreté puisqu’il était débarrassé d'une grande partie de son argile et de ses impuretés. Il était ramassé, mis à sécher, stocké et mélangé, pour une utilisation ultérieure. D'après M. Montet, ce sable avait la préférence des maçons de l'époque.

8 - Période

Si le brevet du ciment « Portland » date de 1824, les premières cimenteries commencent à se développer à partir de 1850 [8]. Mais c'est durant la première moitié du XXe siècle que le ciment trouvera son véritable essor. Sa prise rapide, sa résistance, sa facilité d'emploi, son coût en font vite un matériau de choix au détriment de la chaux. Un nouveau matériau, de nouvelles techniques pour de jeunes générations et la mode du tout ciment remplacent très vite l'utilisation de la chaux au sein du monde rural.

On peut observer sur d'anciennes façades enduites à la chaux, la présence de raccords effectués au fil des ans, de différentes couleurs encore à base de chaux, pour aboutir au gris très contrasté du ciment, sorte de gros pansements ajoutés en colmatage. La maison de Ludovic Liabot de La Raze à Veyrines-de-Domme, présente l'évolution des matériaux à travers ses enduits à la chaux et de ciment. Devant la façade, sur la droite en entrant, le puits et la citerne sont également recouverts d'un enduit au ciment. Sur le puits, une inscription est gravée dans le mortier : un nom difficile à déchiffrer et le millésime 1932. C'est l'époque où mon grand-père, maçon, a commencé à enduire la façade de la petite maison familiale de La Guigne à Saint-Cybranet puis à fabriquer des tas de petites choses en ciment, bordures de massifs, jardinières, seuil d'entrée avec motifs dessinés à la truelle, table coulée dans une roue de charrette, etc.

Mais localement, le ciment était déjà employé depuis le début du XXe siècle, j'ai retrouvé une croix dans un cimetière de la commune voisine de Saint-Pompon. Visible dans l'ancien cimetière à la suite d’un débroussaillage, elle est certainement l'œuvre d'un maçon initié à la rocaille. La croix repose sur le sol et porte les prénoms de deux enfants d'une même famille, dont celui très lisible d'Armand Fauvel, nés en 1900 et décédés en 1904. Une autre rocaille, fracturée, existe également dans ce cimetière.

Concernant les enduits à la chaux, nous savons donc qu'ils sont surtout liés au bâti ancien, principalement, avant la fin du XIXe siècle.

9 - Sur le terrain

La maison rurale, dans sa plus grande simplicité, est constituée à l'origine d'une pièce unique, agrandie au fil du temps, des besoins et des moyens. Elle est souvent l'œuvre du paysan lui-même. Homme polyvalent par excellence, il sait « monter » les murs et protéger les parements du froid et des intempéries en les enduisant. C'est relativement simple, efficace et surtout économique. Dans notre région, les propriétés sont modestes et la superficie des terres n’est pas très importante et souvent d’un rendement faible, surtout dans les coteaux dominés par un calcaire très abondant. Pour subvenir à leurs besoins, les paysans cumulaient parfois plusieurs activités dont celle de la maçonnerie. Si le corps principal de la maison est souvent le seul bâtiment enduit, les pigeonniers bénéficient régulièrement de ce traitement ainsi que d'un chaulage des murs intérieurs pour des raisons d'hygiène. D'autre part, l'intérieur des granges est souvent badigeonné pour les mêmes raisons prophylactiques.

Les quelques observations qui suivent sont limitées, sauf mention contraire, au territoire de la commune de Saint-Cybranet, au sud de Sarlat en Dordogne. La commune se trouve dans la vallée du Céou et s’étend sur ses coteaux sud.

Les témoins possédant encore des enduits à la chaux sont peu nombreux mais offrent pour cinq d'entre eux une caractéristique commune. Des motifs, sous forme de taches blanches, ornent les façades. C'est le premier constat, qui saute aux yeux de tous et qui pourtant, dans les différentes études menées sur la commune, n'a jamais été souligné.

Les enduits mais peut-être plus encore les taches blanches qui les ornent, m'ont toujours intéressé sur la commune, révélant à mes yeux un élan de construction, un effet de mode bien localisé dans le temps et l'espace, limité par une zone géographique déterminée. Elles sont vraisemblablement l'œuvre d'un maçon local mais vers quelle période ?

9.1 - Maison de Catherine Trémoulet, Pont de Cause, Saint-Cybranet

Fig. 1 : maison de Mme Trémoulet, Pont de Cause, St-Cybranet.

Cette maison, située à Pont de Cause, présente, sur deux étages, une façade enduite dont les taches blanches sont les plus nombreuses en comparaison des autres constructions. L'enduit est réalisé avec un jeté à la truelle. Il n'a pas été fait en plusieurs couches distinctes, il consiste en une ou deux passes, suivant les endroits. L’enduit couvre légèrement le parement ; les vides et les creux les plus larges sont remplis en premier et une autre passe est appliquée dans le même temps. De couleur ocre, son aspect est relativement grossier, la surface n'a pas été lissée ni talochée et présente de nombreuses traces effectuées d'un mouvement circulaire de la pointe de la truelle de bas en haut et de gauche à droite. Il ne peut pas s'agir du tranchant de la truelle, dont les traces sont bien différentes et présenteraient des traînées comme des rayures dans l'enduit du fait des grains de sable et petits cailloux arrachés et transportés à la surface de l'enduit avec la truelle.

Le haut du mur gouttereau possède un bandeau réalisé en légère surépaisseur, plutôt lissé avec le dos de la truelle que taloché et badigeonné à la chaux. Ce bandeau a été restauré en partie mais s'est dégradé sur certaines portions où il a totalement disparu. Les encadrements et chaînages présentent tous (sauf les ouvertures récentes) des traces de badigeons.

Des zones d'humidité sont visibles sur un bon tiers inférieur du mur et d’autres portions sont à nu par dégradation. Les taches, nombreuses, sont alignées horizontalement et verticalement, sans toutefois présenter une rigueur géométrique précise, étant réalisées plutôt naturellement « à l'œil », sans calcul préalable. Ces taches sont mieux conservées sur les parties saines, les moins humides. Elles ne sont pas parfaitement circulaires et présentent pour la plupart une coulure. L'application de ces taches a certainement été effectuée avec un chiffon en guise de tampon (hypothèse de M. Montet) et un badigeon assez liquide.

9.2 - Maison de Mauricette Lorblanchet, Le Bourg, Saint-Cybranet

Fig. 2 : maison de Mme Lorblanchet, Le Bourg, Saint-Cybranet.

Cette maison présente exactement les mêmes taches blanches que la maison précédente. Elles sont visibles sur les zones les plus anciennes du crépi. L'enduit a été repris plusieurs fois, on distingue bien les différents raccords, de couleurs et d'aspect distincts. À noter sur la droite la présence des taches sur l'enduit, lequel présente deux tonalités différentes. Le mortier a simplement été appliqué en deux fois, le dosage était vraisemblablement approximatif, donnant deux teintes dissemblables. Il suffit également que le mortier ait été travaillé à des heures différentes de la journée pour qu'il présente des teintes différentes.

Fig. 3 : taches peintes au lait de chaux.

D'autre part, les traces de badigeon et les coulures du bandeau attestent que ces deux zones ont été réalisées en même temps et non à des époques différentes. On note également la présence de badigeon sur les chaînages, un bandeau badigeonné sous la génoise, ainsi que des traces sur les encadrements des fenêtres et de la porte jusqu'à la génoise. L'enduit ne présente pas de couches distinctes selon la « règle » des trois couches énoncée plus haut, il vient principalement remplir les joints plus ou moins larges entre les pierres, rattrapant simplement en couche fine la planéité, et protéger le parement, sans le couvrir totalement.

Les grandes pierres et les pierres un peu débordantes sont laissées à nu (« enduit à pierres vues » ) [9]. L'enduit prend alors l'aspect de larges joints très couvrants. Ces pierres « froides », d'un calcaire très dur, assez lisses, n'offrent pas une surface d'accroche idéale. L'enduit tient surtout par enveloppement des pierres et sa prise dans les joints. Il est comme scellé dans le mur. C’est un point important et une condition essentielle à la bonne tenue de l’enduit.

9.3 - Maison de Pierre Vitalis, Le Couderc, Saint-Cybranet

Fig. 4 : maison de M. Vitalis, Le Couderc, St-Cybranet.

La ferme de Pierre Vitalis est une grande maison construite sur deux niveaux, un rez-de-chaussée avec caves et un étage à usage d'habitation (fig. 4, n° 1). C'est une maison qui a été agrandie dans le sens de la longueur à l'ouest. Les dépendances, granges, four à pain, séchoirs, étables à cochons, poulaillers sont nombreux. La façade nord et le mur pignon à l'est ont conservé leur vieil enduit mais seul, le mur exposé au nord présente des taches sur sa partie la plus ancienne. Les autres façades furent mise à nu et rejointoyées.

La façade nord est intéressante sur le plan des modifications assez nombreuses. L'enduit de la partie la plus récente ne comporte pas de badigeon ni de bandeau sous la génoise ou les chaînages. Mais la chaîne d'angle a été traitée pour imiter de gros quartiers très réguliers, parfaitement croisés à chaque rangée. La réalisation, simple, a consisté en un premier enduit taloché sur le vrai chaînage d'environ 0,8 mm à 10 mm puis en une deuxième couche réalisée en dessinant de faux quartiers d'angle. La surface de cette deuxième couche est brute, simplement relevée à la truelle. Avec un peu de recul, la première couche talochée donne l'illusion d'un chaînage d'angle parfait.

Fig. 5 : maison de M. Vitalis, Le Couderc, Saint-Cybranet, détail du chaînage.

La partie la plus ancienne possède un bandeau badigeonné ainsi qu'un chaînage, une fenêtre dont l’encadrement est également badigeonné. Des quarts de cercle ont été réalisés aux angles des bandeaux et des chaînages et sur la partie inférieure de l'appui (quart de cercle inversé) de la fenêtre (fig. 4, n° 2). Plusieurs zones d'enduits sont visibles du fait des différences de couleurs et des raccords existants. L'enduit aux taches blanches est situé sur le trumeau central (fig. 4, n° 3). On notera, une nouvelle fois, l’absence de trois couches distinctes. Les joints des moellons hourdis à la terre, sont largement remplis et assurent ainsi une prise efficace pour l'enduit qui vient recouvrir le parement soit en totalité, soit partiellement. On voit à l'endroit des zones décrépies, des vides entre les pierres, souvent petites, parfois même de simples « soustilles » [10].

Fig. 6 : détail de l'enduit, en bas à droite quelques « soustilles ».

Les deux fenêtres entre lesquelles se trouvent les taches, ont été construites approximativement pendant l'entre-deux-guerres d’après Pierre Vitalis. À noter que les angles, appuis et linteaux de ces fenêtres viennent des carrières situées sur la route de Sarlat, fermées depuis de nombreuses années. Ces carrières exploitaient de la pierre tendre, dont les grands blocs du Crétacé étaient faciles à couper, à travailler. Quant aux moellons des murs, il s'agit des pierres calcaires très dures prélevées sur place, directement issues du socle rocheux. La grange plus récente (1912) fut construite ainsi et ne comporte aucun élément enduit.

9.4 - Maison de Christian Roulland, Grézelle, Saint-Cybranet

Cette maison, qui sert de remise aujourd'hui, est construite sur deux niveaux. Le premier niveau est constitué par la cave et le cellier tandis que l'habitation occupe le deuxième niveau en deux pièces. Les deux toitures ont été entièrement refaites. La maison possède un escalier latéral et un bolet ajoutés postérieurement au bâti.

Fig. 7 : maison de M. Roulland, Grézelle, Saint-Cybranet.

Un pigeonnier carré intégré existe au côté sud ainsi que trois trous d'envol dans un mur pignon. Les enduits sont visibles à l'étage sur tout l'encadrement de l'entrée et badigeonnés. Un bandeau badigeonné existe également sous la génoise. Une face du pigeonnier et les deux façades opposées ont également conservé leur enduit. Ceux-ci présentent des traces de taches blanches. Un bandeau tracé à la truelle et badigeonné sous la génoise marque également la séparation avec la partie supérieure du pigeonnier dont l'enduit a également été badigeonné. Un morceau d'enduit bien conservé présente des taches blanches sur la façade principale (fig. 8). Les treize taches restantes sont légèrement plus larges que sur les autres maisons observées plus haut. Mais les enduits qui subsistent ont les mêmes caractéristiques que ceux des autres témoins. Tout comme dans les observations effectuées sur les maisons précédentes, on note une absence de trois couches, l’enduit vient surfacer légèrement l'appareillage, mourant parfois sur les moellons sans les couvrir totalement. L'agrégat présente également de nombreux cailloux comme expliqué plus loin.

Fig. 8 : maison de M. Roulland, Grézelle, Saint-Cybranet, détail des taches badigeonnées au lait de chaux.

 

Fig. 9 : maison de M. Roulland, façade opposée et pigeonnier.

9.5 - Maison de Gilbert Garrouty, Grézelle, Saint-Cybranet

Face à la maison de Christian Roulland, citée ci-dessus, se trouve la maison natale de M. Gilbert Garrouty. Cette maison possède également un enduit très intéressant sur sa partie la plus ancienne (fig. 10, n° 1).

Fig. 10 : maison de M. Garrouty, Grézelle, Saint-Cybranet, détail de l'enduit et millésime.

Il existe un bandeau sous génoise, un chaînage et un encadrement badigeonné mais surtout l'enduit possède une importante concentration de petits cailloux, qu'on trouve en abondance dans les terres et les bois de Grézel (fig.10, n° 3), ce qui va bien dans le sens du « sable des chemins » dont parlait plus haut M. Montet. Il est évident que ce sable a juste été grossièrement séparé des végétaux et cailloux les plus importants et volumineux, mais qu'aucun criblage fin n’a été pratiqué. La présence de ces cailloux renforce la résistance de l'enduit, je n’affirmerai pas que cette qualité justifie leur présence.

De l'autre côté de la maison, les façades ont conservé partiellement leur enduit de même facture et le détail le plus intéressant se trouve sur la face la mieux conservée, il s'agit d'un très beau millésime gravé sous le bandeau de la génoise dans un espace conçu pour graver : 1881 (fig. 10, n° 2). Cette date, des plus rares sur les vieux enduits subsistants, est un vrai trésor.

9.6 - Grange de M. et Mme Aubert-Abeille, Grézelle, Saint-Cybranet

À la sortie de Grézelle, se trouve une grande grange enduite de la même façon que les autres bâtiments décrits mais qui a une particularité supplémentaire, la présence d'une croix peinte à la chaux et de taches blanches (fig. 11, n° 3) réparties sur deux colonnes, de part et d'autre de la croix.

Fig. 11 : millésime 1881, niche avec Vierge à l'Enfant et croix badigeonnée.

 

Fig. 12 : vue de l'ensemble, niche et croix sur la façade.

Sur la gauche de ces peintures, se trouve une niche abritant sous une vitre une statue de la Vierge à l'Enfant (fig. 11, n° 2, et fig. 13). Cette niche est entourée d'un cadre enduit et lissé et de taches peintes à la chaux disposées autour du cadre.

Fig. 13 : cadre enduit autour d'une niche vitrée abritant une statue de la Vierge à l'Enfant.

La confession des propriétaires de l'époque ne fait aucun doute mais si la présence d'une vierge est chose assez courante, sa disposition en pleine façade avec une croix peinte et des taches d'ornement l'est moins. On affiche sa foi en la mettant en scène et en valeur, la Vierge a toujours eu un rôle de protection, visiblement recherché ici. Sur la clé du linteau de la grange, est inscrit l'élément primordial qui manquait jusqu'à présent : le millésime 1881, soit la même année que pour l'enduit vu précédemment.

10 - Constats

Ce dernier élément apporte un renseignement précieux en permettant de cerner avec précision une période qui relie les enduits présentés et leur « décor ». L'enduit de cette grange, avec ses taches, sa croix et sa statue, a été appliqué lors de la construction de la grange, en 1881. L'enduit réalisé chez M. Garouty, également à Grézelle, est millésimé de la même année : 1881. Toujours à Grézelle, le même type d'enduit avec le même décor est observé sur la maison de M. Roulland. Enfin les mêmes taches et enduits sont décrits chez M. Vitalis au Coudert, chez Mme Lorblanchet au bourg de Saint-Cybranet et chez Mme Trémoulet à Pont de Cause. En regroupant les informations fournies par les enduits observés, j’avancerai comme période d’élaboration de ces crépis le deuxième quart du XIXe siècle, avec comme date de référence moyenne celle de 1881.

Enfin, le jeté à la truelle est la technique utilisée sur ces bâtiments. Les enduits se présentent comme une « masse » faisant corps avec les joints et moulant ainsi les moellons. L’enduit tient plus par moulage que par accrochage. Il est réalisé en plusieurs passes, d’épaisseur plus ou moins importante suivant la grosseur des joints, et non en couches superposées. On voit d’ailleurs nettement la tendance au décollement (décroûtage) sur les zones où les joints sont vides ainsi que sur les pierres à surface importante, notamment les pierres d'angle.

11 - Divers

Fig. 14 : Juliac, roues de charrette sur le mur d'une ancienne maison de forgeron.

 

Fig. 15 : La Raze, Veyrines de Domme, enduit XIXe et XXe siècles.

 

Fig. 16 : La Raze, nom et millésime 1932 sur le puits.

NOTES

[1] La plupart des CAUE (Conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement) éditent des plaquettes et des fiches techniques sur les enduits.

[2] Matières qui ont pour propriété d’assembler par « collage » des matériaux inertes. Ministère de la culture et de la communication, Direction de l’architecture et du patrimoine - Ouvrage de maçonnerie, juin 2006.

[3] Le mot « agrégat » est une appellation ancienne qui n'est plus utilisée aujourd'hui, étant remplacée par « granulat ». Ministère de la culture et de la communication, Direction de l’architecture et du patrimoine - Ouvrage de maçonnerie, juin 2006.

[4] La castine est une roche calcaire qui se trouve généralement dans de petites carrières. Elle est surtout localement utilisée pour remblayer ou aplanir les chemins, les allées, les cours de jardin, les parkings individuels. Malheureusement la forte présence d’argile contenue dans la castine en fait un matériau qui colle après la pluie et surtout au dégel. Son emploi est maintenant très rare car on lui préfère la pierre concassée, qui est plus propre et mieux calibrée. Généralement, la castine était également destinée pour les fours à chaux.

[5] Norme française document technique unifié - Dernières règles définies le 12 avril 2008 intégrant les enduits monocouches comme enduits traditionnels puisque utilisés depuis 35 ans.

[6] M. Montet était maçon et tailleur de pierre à Domme, troisième génération de maçons, aujourd'hui retraité.

[7] Informations de M. Montet sur les pratiques anciennes des maçons locaux.

[8] Michel Racine, Architecture rustique des rocailleurs, Éditions du Moniteur, 1981.

[9] Fiche technique du CAUE de Franche-Comté n° 1.

[10] Terme local désignant de petites pierres servant le plus souvent de cales dans les constructions.


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© CERAV

Référence à citer / To be referenced as :

Jean-Marc Caron

Derniers témoins d'enduits à la chaux à Saint-Cybranet (Dordogne) (Last traces of lime-based rendering at Saint-Cybranet, Dordogne)

Hommage à Michel Rouvière (dir. Christian Lassure)

L'architecture vernaculaire, tome 38-39 (2014-2015)

http://www.pierreseche.com/AV_2014_caron.htm

24 septembre 2014

L'auteur :

Jean-Marc Caron est l’auteur des recensements des constructions à pierre sèche de la commune de Daglan en Dordogne puis de l’ensemble du territoire du canton de Domme entre 1990 et 1995.

En février 1993, il crée la Maison de la Pierre Sèche de Daglan en partenariat avec le C.A.U.E. de la Dordogne, le Conseil Régional d’Aquitaine et la Mairie de Daglan. Il quitte la Maison de la Pierre Sèche en avril 1995.

Sa passion pour la photographie lui permet d’exposer des clichés d’une ruralité en pleine mutation.
 

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